Sept ans. C’est le temps qui aura été nécessaire à Corin Hardy pour mener à bien ce projet fantastique inspiré de légendes irlandaises. Ça peut paraître une éternité à l’heure où les productions horrifiques fallacieuses – notamment celles de Jason Blum (Paranormal Activity, Sinister, American Nightmare, etc.) – pullulent et inondent nos écrans. Mais ici, ces sept ans de genèse n’auraient pas pu être employés à meilleur escient tant Corin Hardy prouve dès son premier film qu’il est un cinéaste de la maîtrise et de la générosité envers son spectateur. En minimisant les effets numériques pour revenir à des techniques d’effets spéciaux plus traditionnels, Corin Hardy s'érige en héritier de tous ces cinéastes de genre qui ont marqué la culture fantastique, à l’instar de John Carpenter ou David Cronenberg. Ce n’est pas pour rien qu’il cite en générique des maquilleurs aussi célèbres que Ray Harryhausen, Dick Smith ou Dan Winston. S’il fallait brièvement énumérer les influences de Le Sanctuaire (hors-propos par rapport au titre original The Hallow), il le faudrait le définir comme un croisement entre The Descent et le jeu vidéo The Last of Us, avec une esthétique proche des meilleurs Guillermo Del Toro et prenant place dans le folklore irlandais. Rien que ça. Mais derrière toutes ces influences se cachent une véritable singularité qui donne tout son sel à ce premier long métrage d’un cinéaste dont on va très vite réentendre parler.


Dans une forêt dense et marécageuse de l’Irlande, un couple vient de s’installer pour des raisons professionnelles avec un enfant en bas âge. Ne prêtant pas attention aux légendes démoniaques rapportés par les riverains, ce couple à l’esprit scientifique va rapidement faire face à l’irrationalité des lieux. Si Corin Hardy est originaire d’Angleterre, il a trouvé une richesse dans les récits de la culture irlandaise qui n’avait encore jamais été étayée au cinéma. Il ne se prive d’ailleurs pas pour dévoiler rapidement la morphologie de ses créatures, qui apparaissent peu avant la moitié du film. Mais même en expédiant tout le mystère de ce film de monstre, le cinéaste arrive à conserver une tension palpable et une frayeur propre à ce genre de film. Il l’emploiera même dans des registres audacieux, notamment lorsque le couple se retrouvera confronté aux créatures et à des dilemmes moraux rarement vus au cinéma. Car il y a dans Le Sanctuaire des partis-pris qui renouvellent considérablement le film de monstre et l’épouvante en général. Si la trame narrative du film a été décriée par la linéarité des événements, l’intérêt se trouve ailleurs. D’un côté, Corin Hardy assume le classicisme de ce film de monstres minimaliste mais de l’autre, il affiche une telle ambition visuelle et une telle maîtrise que Le Sanctuaire devient une œuvre d’autant plus détonante qu’elle ridiculise tout ce qui a été produit ces derniers mois.


Pour un premier long métrage, Le Sanctuaire épate par la noirceur de son récit, les thèmes énoncés (la revanche de la nature sur l’homme, être parents, etc.) et la réalisation sublime. Rares ont été les récents films de genre à offrir d’aussi beaux effets visuels. Des décors merveilleux et gothiques qui feraient pâlir un Del Toro. C’est sans compter les créatures du film qui s’avèrent être de formidables monstres de cinéma. Comme un croisement obscur et dégoulinant entre les bêtes de The Descent et le Faune du Labyrinthe de Pan. Corin Hardy délivre tout son génie dans la retranscription du mythe irlandais travaillant à la fois les légendes et les créatures qui peuplent le bestiaire anglo-saxon (dont le site gonel-zone en parle très bien). Ces créatures, on les retrouve dans certains récits du livre The Book of Invasions, appelé aussi Lebor Gabála Érenn, soit une cosmogonie de récits et mythes médiévaux irlandais. C’est bien là que Corin Hardy se révèle le plus intéressant puisqu’il ne se contente pas de reprendre un matériau et d’utiliser des moyens techniques modernes pour le représenter. Il va crédibiliser son récit en le contextualisant dans une époque moderne, sujette aux craintes biologiques, à travers l’influence du cordyceps (un champignon véritable – et influence majeure de The Last of Us – qui modifie le comportement physique et psychologique de son hôte) et le mettre en parallèle à l’impact de l’homme sur son environnement. Le Sanctuaire est un film profondément écologique où les créatures peuvent être perçues comme la représentation d’une nature qui se vengent des méfaits de l’homme. La métaphore n’est pas nouvelle mais ajoute une plus-value à un film qui ne se contente pas seulement d’être un film fantastique sans fond. Ce travail permet ainsi d’accentuer la cohérence d’un récit qui joue sur les deux tableaux, le réel et l’imaginaire. Cette distinction se ressent également dans la photographie tant les plans en plein jour laissent agir la beauté naturaliste des lieux alors que les plans de nuit jouent sur des effets d’ombres, de lumière lunaire et de filtres bleutés qui accentuent la dimension surnaturelle des événements.


Avec Le Sanctuaire, Corin Hardy se permet même d’avoir un casting remarquable pour une production de cet acabit, puisque on y retrouve le couple Joseph Mawle (Kill Your Friends, Au coeur de l’océan) et Bojana Novakovic (Jusqu’en enfer, la série Shameless), qui s’impose comme une version moderne de celui formé par Jeff Goldblum et Geena Davis dans La Mouche de David Cronenberg. Les fans reconnaîtront également Michael McElhatton, qui interprète Roose Bolton dans la série Games of Thrones. Des têtes déjà vues qui donnent une certaine saveur à un film qui joue constamment avec les genres. De thriller psychologique, Le Sanctuaire vire progressivement vers le fantastique pur et dur. Mais Corin Hardy semble également avoir conçu certains chapitres indépendamment puisque le spectateur appréciera être bousculé et se retrouver tantôt devant un film de monstre nerveux, tantôt devant un home invasion suffocant. Les premiers retours ont dénoncé une trop grande linéarité, prenant le spectateur par la main sans lui laisser la moindre liberté d’interprétation. Le constat est discutable, car s’il faut reconnaître l’académisme de ce récit, il n’en reste pas moins un objet qui joue constamment avec les attentes du spectateur. Et puis ne serait-ce que pour ce final, qui laisse planer un immense suspense sur son dénouement, on ne peut qu’applaudir l’audace d’un réalisateur qui a su tenir la barre tout le long du projet. Avec ce suspense interminable, Corin Hardy nous manipule à l’image de ses créatures qui jouent avec les personnages du film. Le Sanctuaire est un divertissement tout ce qu’il y a de plus honnête et performant, une qualité remarquable dans le genre. C’est bien simple, le premier film de Corin Hardy a tout pour devenir un classique, rien que ça.


Avec une telle maturité dès sa première incursion dans le long métrage, il n’est pas étonnant de voir que Corin Hardy a tapé dans l’œil de producteurs à la recherche de nouveaux talents. Alors que le film n’est même pas encore sorti, son nom est déjà associé au remake du maudit The Crow. La preuve que Le Sanctuaire est le résultat d’un réalisateur généreux avec son spectateur, ne laissant rien au hasard et respectueux de l’héritage de ses aînés et du fantastique. Le Sanctuaire est un film de monstre aussi efficace que soigné qui fait du bien à un cinéma de genre qui peine à se renouveler.


Retrouvez également cette critique sur CineSeries-Mag, accompagnée d'images et de la BA.


Ainsi que d'une interview du réalisateur réalisée par mon confrère de la rédaction.

Softon
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le 28 nov. 2015

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Kévin List

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