Allemagne du Nord, à la veille de la première guerre mondiale. Un petit village protestant est en proie à d’étranges événements punitifs et vindicatifs (accidents, mort, sévices corporels). On tente de les comprendre, de trouver le(s) coupable(s), mais on préférera ne rien élucider, ni même considérer un exorde de vérité. Comme à son habitude, Haneke ne tranche pas en seul arbitre, il laisse juge et partie le spectateur par rapport aux responsabilités (et conséquences à venir) des préjudices symptomatiques d’une haine sourde, réponse primaire à une discipline aveugle, saoule de rigorisme puritain imposant effroi et dévotion.

C’est bien là la grande affaire du film, celle d’un réquisitoire associant l’Histoire (l’Allemagne avant le nazisme) à une réflexion sur la violence psychologique, et celle encore d’une évocation implacable d’institutions sclérosées par un ordre répressif basé sur le sacrement du péché et une éducation familiale fascisante (censures, punitions, plaisirs prohibés, peur du sexe, déviance incestueuse). C’est également la toute-puissance du père, et le Père tout-puissant, qui prévalent structurellement à l’égard de toutes les couches sociales (du noble au paysan), et aussi des âmes, des corps, ceux des femmes et surtout des enfants a priori innocents, victimes exutoires, futurs bourreaux peut-être, d’un patriarcat suffisant (scène terrible du médecin humiliant, par les mots, sa maîtresse), engoncé dans ses traditions, avide d’influences et de châtiments.

La description clinique de celui-ci, minutieuse et presque entomologiste, octroie au film une idiosyncrasie glaçante à laquelle on peut, légitimement, rester hermétique. S’il est vrai que le film est d’une ambition folle dans son étude et ses béances, il souffre d’un manque d’émotion, de ravissement qu’Haneke, certes, n’a jamais tenté de dissimuler. Sa démonstration austère sur les incidences d’une sauvagerie sous-jacente, angélique, est proprement vertigineuse, mais le tour de force demeure trop ascétique, trop suffocant.

La grande maîtrise formelle d’Haneke, ici pleinement accomplie (noir et blanc splendide, hors-champ remarquable, interprétation et sens du cadre précis, diction allemande hypnotique, tranchante comme une lame de couteau), est indiscutable et n’est plus, de toute façon, à démontrer ; elle a le mérite d’aller de soi avec l’ambiance monacale du film et permet, éventuellement, de supporter les 2h30 de ce bloc de ténèbres, monument âpre et rêche à vivre, à ressentir dans sa chair telle une épreuve mortifère. Sans pouvoir se passionner totalement pour cette œuvre radicale et impressionnante, quelque chose d’abyssal s’en dégage pourtant, quelque chose d’infinitésimal aussi, et qui tolère une lueur d’incarnation, de trouble latent face à la vision tendue de ce microcosme (que l’on peut étendre à une géographie plus universelle) où l’autoritarisme mental et social promet de beaux jours sombres aux futures générations hitlériennes (et à celles d'après).
mymp
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Top Michael Haneke

Créée

le 22 oct. 2012

Critique lue 498 fois

10 j'aime

1 commentaire

mymp

Écrit par

Critique lue 498 fois

10
1

D'autres avis sur Le Ruban blanc

Le Ruban blanc
Matrick82
8

"Ce film c'est de la dynamite" (Alfred Nobel)

*ATTENTION, LA LECTURE DE LA CRITIQUE SUIVANTE PEUT NECESSITER UN MINIMUM DE SECOND DEGRE ET HEURTER LES MINEURS* Françaises, Français, Belges, Belges, SensCritiqueuses, SensCritiqueurs, Salut ma...

le 22 mai 2013

125 j'aime

52

Le Ruban blanc
guyness
8

Mystère austère au presbytère

Putain, on est pas là pour rigoler ! Si vous ne l'avez pas encore vu, soyez éclairés au moins sur ce point: ça va chialer dans les chaumières. On est d'accord, rien ne se prête à la gaudriole à...

le 28 janv. 2012

72 j'aime

9

Le Ruban blanc
Pukhet
10

Prémices horrifiques

Michael Haneke l'a dit lui-même : «Le Ruban Blanc est un film contre tous les extrémismes. » bit.ly/RQbkdc Et ici, l'illustration est faite de l'Allemagne à l'aube de la Première Guerre Mondiale,...

le 11 nov. 2012

48 j'aime

3

Du même critique

Gravity
mymp
4

En quête d'(h)auteur

Un jour c’est promis, j’arrêterai de me faire avoir par ces films ultra attendus qui vous promettent du rêve pour finalement vous ramener plus bas que terre. Il ne s’agit pas ici de nier ou de...

Par

le 19 oct. 2013

180 j'aime

43

Killers of the Flower Moon
mymp
4

Osage, ô désespoir

Un livre d’abord. Un best-seller même. Celui de David Grann (La note américaine) qui, au fil de plus de 400 pages, revient sur les assassinats de masse perpétrés contre les Indiens Osages au début...

Par

le 23 oct. 2023

171 j'aime

14

Seul sur Mars
mymp
5

Mars arnacks!

En fait, tu croyais Matt Damon perdu sur une planète inconnue au milieu d’un trou noir (Interstellar) avec Sandra Bullock qui hyperventile et lui chante des berceuses, la conne. Mais non, t’as tout...

Par

le 11 oct. 2015

161 j'aime

25