Le Royaume des abysses
7
Le Royaume des abysses

Long-métrage d'animation de Tian Xiao-Peng (2023)

Un voyage éprouvant pour la rétine mais qui en vaut la chandelle, ce film vous inondera d’effets visuels fabuleux autant liquéfiés que l’état de vos yeux à la fin de la séance. [quelques spoilers]

Le Royaume des abysses est un film d’animation réalisé par Tian Xiao-Peng en salle depuis le 21 février qui nous vient de Chine, pays connaissant l'essor de ce type de productions animées ces dernières années. Shenxiu est une fillette de 10 ans souffrant de l’absence de sa mère et désespérément seule sur un bateau de croisière avec un père remarié qui ne lui prête aucune attention. Le jour de son anniversaire, celle-ci sort en pleine tempête sur le pont par désespoir et se fait happer par une vague dans les profondeurs de l’océan. Shenxiu est introduite au Restaurant des Abysses et à son capitaine et chef cuisinier fou Nan He dans nouvel univers fantasmagorique océanique peuplé de carpes, de loutres et de morses anthropomorphes ainsi que de l’inquiétant fantôme rouge qui hante ses sanglots.

Le Royaume des abysses est un mélange d’influences cinématographiques à commencer par Le Voyage de Chihiro (2001) du réalisateur nippon Hayao Miyazaki qui est la plus évidente autant par l’élaboration d’un univers onirique que d’un établissement qui accueille des créatures étranges pour les servir. L'odyssée de Pi (2012) de Ang Lee est une autre référence importante car les deux histoires sont un voyage initiatique fantastique à la dérive dans l’océan qui se révèlent être des fabulations mentales des personnages principaux avant de mettre à jour une réalité plus sombre.

On ne peut pas passer à côté de l’animation 3d utilisée d’une manière tant innovante tout d’abord par un chara design “réaliste” aux émotions exacerbées assez éloigné de l'animation occidentale actuelle ainsi que des mouvements élastiques des corps jamais vus auparavant. Les textures sont flamboyantes, les lumières étincelantes et les simulations de fluides expliquent à elles seules la flambée des prix des cartes graphiques sur le marché tant celles-ci sont aberrantes. L’image grouille de créatures se chamaillant dans des liquides plus ou moins épais qui nous donne l’impression d’un grand bain de peintures d'où la volonté du réalisateur de s’inspirer des encres chinoises ainsi que de l’impressionnisme. Seulement, nous avons par moments plus l’impression de regarder l’une de ces démos techniques de téléviseurs dernière génération chez la Fnac qu’un film et c’est en cela que réside son principal défaut.

Bien qu’époustouflante, l’image rutilante peut lasser par une surenchère incessante, le film est généreux mais force sur la volonté d’émerveiller le spectateur sans cesse ne lui accordant aucun répit et même lui faisant espérer un instant plus posé et calme afin de pouvoir contempler les tableaux offerts à nos yeux. Ce film souffre d’un problème de rythme qui pourrait être attribué au fait que ce film est très ancré culturellement à l’instar des comédies de kung-fu qui vont à toute berzingue sans laisser souffler le spectateur non-initié et cet élément pourrait en refroidir certains de plus que l’humour est chinois lui aussi, donc burlesque et sans finesse - même si le gag de la tennis m’a fait rire je le reconnais. Malheureusement, nous ne retrouvons pas la magie et la poésie d’un Ghibli chez Tian Xiao-Peng, peut-être par un manque d’humanité la faute à l’un des personnages principaux, Nan He, capitaine dans la fable et clown triste et avide en réalité, trop antipathique on ne peut vraiment s’attacher à lui malgré son destin tragique. La faute peut-être encore aux CGI qui ont été qualifiées d’IA par certains pouvant nous détacher de tout aspect tangible et finalement humain et réel du dessin plus que le “photoréalisme cartoonesque”.

Les animaux dans le Restaurant des Abysses représentent des personnages présents dans la réalité diégétique du film comme pouvait le faire le précédemment cité L'odyssée de Pi ou encore Alice au pays des merveilles. Ici, le père est un éléphant de mer insensible, alcoolique et travailleur alors que la mère est un “Poculus” une créature amorphe et obscure qui représente l’absence de celle-ci ainsi que le seul souvenir aveugle que sa fille a d’elle : le fredonnement d’une comptine. Cette amertume décèle toute l’originalité et la valeur du Royaume des abysses à aborder des sujets difficiles tels que la dépression, l’abandon et le suicide infantile rendant l’expérience sûrement inadaptée aux enfants de par sa dureté autant visuelle que thématique.

Bien que l’on doive reconnaître l’insignifiance de plusieurs éléments scénaristiques exposés, le final reste déchirant bien qu’on l’ai vu venir dès le début, accompagné d’une bande-originale qui donne des frissons à la fois dramatique et épique. Mais je le reconnais volontiers, j’ai pleuré comme une madeleine - que voulez-vous, les histoires à la Petite fille aux allumettes ça me fait chialer faible que je suis. Le refus de Shenxiu d’accepter la mort du clown (Nan He) en traversant une toile de cinéma qui s'effiloche lui sacrifiant ses joues roses est l’une des plus belles scènes du film. La métaphore réside dans le message final de ce long-métrage: ces instants de brefs plaisirs qui rendent la vie supportable, une illustration de l'expérience cinématographique et de la volonté d’un réalisateur de donner un rayon de soleil à ceux dans le besoin - film à regarder.

Screugneugneu_
7
Écrit par

Créée

le 8 avr. 2024

Screugneugneu_

Écrit par

D'autres avis sur Le Royaume des abysses

Le Royaume des abysses
Tohad
10

Deep Dive

Deep Sea est l'explosion de couleur du festival d'Annecy 2023, mais probablement aussi de la décennie à venir dans l'industrie de l'animation. Véritable expérience sensorielle, le film semble venir...

le 18 juin 2023

17 j'aime

2

Le Royaume des abysses
sudsidestory
10

Un voyage initiatique abyssale

Véritable trésor sorti des océans, Le Royaume des Abysses s'avère impressionnant de maîtrise, sur le fond comme sur la forme. Sur la forme, la palette de couleurs est sidérante, où les tableaux de...

le 12 déc. 2023

15 j'aime

Le Royaume des abysses
pierre_baladi
4

1h10 de set up sans pay off

Une chose est sûre, ce film est une merveille visuelle et personne ne pourra le lui enlever. On parcourt des compositions riches avec un rendu incroyable à travers tout le film. Ce sont...

le 27 janv. 2024

13 j'aime

7

Du même critique

Five Nights at Freddy’s
Screugneugneu_
2

L'attaque des peluches

J'ai mis 2 et non pas 1 car le lore est respecté, et le fan service a bien marché (à en croire les cris des geeks millenials à chaque référence)Chaque moment un tant soit peu flippant est rompu par...

le 1 nov. 2023

29 j'aime

10

The Flash
Screugneugneu_
1

MDR

Par où commencer...Les doublures CGI des acteurs qui viennent franchement d'un jeu vidéo ne mentez pas. Les bébés en 3d - mon dieu quelle abomination ! La cape de batman au vent, les deepfake quand...

le 14 juin 2023

4 j'aime

6

Le Menu
Screugneugneu_
6

Enfin l'adaptation live-action de Ratatouille !

(Je rigole pour le titre... ou presque)Le Menu se déroule quasiment intégralement en huit-clos dans un restaurant gastronomique aux issues bloquées et lui même isolé sur une île. Dans ce restaurant...

le 25 nov. 2022

4 j'aime