Jörg Buttgereit n’est pas un cinéaste très appréciable à cause de sa propension à esthétiser l'abjection, et à lier ses fascinations morbide dans une forme de poésie lyrique et macabre. Les amateurs lui préfèrent généralement la brutalité barbare et saignante des Schnaas et Ittenbach, des œuvres référencés qui mêlent les influences Fulcienne ou Romerienne dans un concert de supplices, de massacres et de saillies gore grand guignolesque que n’aurait certainement pas renié Hershell Gordon Lewis en son temps. Les films de Buttgereit sont peut-être moins excessif, moins exaltant, mais ils sont aussi mieux maîtrisé, plus dérangeant, et surtout doté d’une sensibilité artistique qui manque souvent à ses confrères du splatter underground allemand. La nécrophilie, il en a fait le tour du sujet avec Nekromantik et sa suite, mais ce n’est pas le seul tabou que le réalisateur a abordé durant sa filmographie, car 10 ans avant Suicide Club de Sono Sion, il s’était inspiré d’un ouvrage polémique (Suicide, Mode d’emploi) qui décrivait toutes les méthodes pour intenter à sa vie. Le livre très controversé sera tout bonnement interdit sur le territoire français suite au suicide de Michel Bonnial qui déclencha un bad buzz médiatique. Trop modeste, le réalisateur décrit néanmoins Der Todesking comme un film sur la mort, sans aucun message subliminal. D’une certaine manière, il n’a pas tort, pourtant dès son introduction, il confirme qu’il est certainement l’élève surdoué de cette génération avec ce cadavre en voie de décomposition qui reviendra comme un leitmotiv récurent à mesure que les 7 jours de la semaine vont défiler et la vie de ses personnages s’effacer.


Le premier est certainement le plus désarmant, le réalisateur résume en plan séquence l’ennuie mortifère d’un quarantenaire privé de toute horizon, qui vivote et tourne en rond dans son environnement comme un poisson dans son bocal avant de se laisser partir par une overdose médicamenteuse en se noyant dans sa baignoire. Le second propose une accumulation de mise en abyme fascinante sur le pouvoir de suggestion et le voyeurisme exacerbé du public. On y voit un spectateur ivre de bière et de sang, exalter devant un film de nazisploitation où un prisonnier de guerre se fait émasculer par une tortionnaire. Surpris durant sa projection, l’homme de toute évidence ulcéré par le comportement castratrice de sa bonne femme va l’abattre d’une balle dans la tête puis la caméra va reculer pour révéler ce qui est en réalité une mise en scène factice diffusé sur un écran de télévision devant lequel un autre spectateur va choisir la pendaison. Le propos est certes moins subtile que la forme mais se veut surtout ironique, puisqu’il permet de dénoncer l’argument de l’opposition selon lequel le 7ème art peut avoir une très mauvaise influence sur les personnes souffrant de trouble émotionnel. Si on ira pas jusqu’à pointer du doigt la responsabilité des réalisateurs sur certains meurtres perpétrés au nom d’un tel, puisque chacun reste maître de ses actes, il convient néanmoins d’argumenter cet état de fait.


Der Todesking s’apparente en effet à un film à sketch qui parle d’inhumanité dont la vocation n’a pas seulement pour but de choquer, mais bien de délivrer les personnes de leur abjection, et de la futilité de leur existence morne et neurasthénique. Pourtant, d’une certaine manière, on peut dire qu’il s’agit d’un film borderline et dangereux puisqu’il met à mal le sentiment du spectateur par son approche naturaliste, son ton résolument nihiliste, son rythme monotone et sa photographie blafarde. Une séquence tournant autour d’une épitaphe funéraire provoque irrémédiablement le malaise face à l’évocation de ces nombreux noms s’étant jetés d’un pont pour échapper à leur condition. Peu importe leur âge ou leur profession, le désespoir est un sentiment commun à tous et la seule certitude réside dans notre propre finitude. L’ouvrage de béton monolithique se dresse comme une pierre tombale dans le paysage, et le réalisateur en filme tous les lignes et contours, accentuant le sentiment de vide mais aussi de légèreté par des plans aériens qui permettent de ressentir les derniers instants vécues par ces hommes et femmes qui ont décidés de passer de l’autre côté. La scène file la parfaite métaphore, puisque le pont tel une arche funèbre relie le monde des vivants à celui des morts. Dans sa misanthropie, Buttgereit va plus loin et choisi de mettre en scène un carnage silencieux dans une salle de spectacle qui donnera quelques sueurs froides aux survivants du Bataclan. La scène est filmée avec une steadicam du point de vue subjectif de la tueuse qui tire sur les membres du groupe puis sur le public pris de panique. Les corps tombent les uns après les autres avant qu’une personne ne réplique à son tour et ne mette fin à l’enregistrement. Certains n’y verront que du vent, un bad trip vide et soporifique, tandis que d’autres pourront aisément se laisser envahir par les émotions face à ce parangon morbide et mélancolique. En cela, il est vivement déconseiller aux personnes souffrant de dépression de le voir, sous peine de se miner le moral pour de bon.

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le 1 mai 2024

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