Parlons Histoire ! Avec quelques spoilers en prime, je suis obligé d'y avoir recours...


Je pense qu'aujourd'hui, tout le monde fait le distinguo entre une histoire, c'est à dire un récit basé sur des faits réels ou imaginaires et construit afin d'en dégager un sens ; et l'Histoire, qui se veut une « science » qui raconte notre passé, et donc quelque chose acquis comme une vérité.


Peut-on dire que la légende du Roi Arthur fait partie de l'Histoire ? Non, même si la situation semble compliquée. Les légendes autour du roi Arthur auraient été écrites entre le 6e et le 12e siècle. Arthur serait apparenté à plusieurs personnages autant bretons que romains, et dans les premières versions du récit était un guerrier ayant repoussé les barbares, pour devenir par la suite un souverain associé à la quête du Graal. Je n'en dirais pas plus sur l'Histoire car ce n'est pas le but, mais ce qui peut être affirmé avec certitude, c'est qu'il n'y a jamais eu de roi souverain régnant sur les deux Bretagnes (car oui Mr Ritchie, à l'époque, c'était encore la Bretagne et pas l’Angleterre comme dans le film !).


Est-ce que ça en fait une histoire moins importante ? Bien sûr que non !
D'aussi loin que l'on peut retourner en arrière dans notre passé, l'humanité a toujours eu soif de récits. La mythologie était admise comme faisait partie de l'Histoire à toutes époques ; mais même après 5000 ans et l'arrivée de la déferlante scientifique et philosophique du 17e et 18e siècle qui ont démystifié ces récits, ces histoires nous fascinent toujours autant.


J'en viens donc au récit dit de « La légende du Roi Arthur », et aussi à la manière de conter un récit. Ce qui importe dans une fable c'est le sens qui s'en dégage, plus communément appelé morale mais c'est un terme qui peut s'avérer simpliste. Bref, les histoires importantes ont un sens profond qui touche nos êtres, que ce soit de manière intellectuelle ou viscérale mais touche à notre psychologie, et donc à notre manière d'être. Et là, pour reprendre l'expression, "chacun voit midi à sa porte". Un récit peut vous toucher particulièrement alors qu'un autre va vous laisser de marbre. C'est l'essence même d'un récit, et les plus grands atteignent une portée universelle. C'est d'ailleurs pour cette raison que ce media moderne qu'est le cinéma reprend régulièrement ces vielles mythologies et légendes afin de rappeler leur morale, parfois en modernisant le propos.


Mais j'écris beaucoup et il est temps de mettre un terme à cette trop longue introduction. Le fait est que je n'ai pas pleinement apprécié le film de Guy Ritchie car selon moi, il ne possède pas le sens adéquat.


L'histoire du film qui nous occupe ici parle d'un enfant qui est mis à l'abri d'une attaque de créatures monstrueuses et magiques dans une barque. Mais le petit va voir ses parents mourir sous ses yeux, et dérivé le long de la tamise jusqu'à être recueillit par un groupe de prostituées qui vont l'élever dans un bordel. L'enfant va grandir en ayant occulté ses souvenirs, gérant l'affaire qui l'a vu s'épanouir ; mais une rencontre non-consentie avec son passé va changer son destin.
Le début de cette histoire aux allures bibliques semble loin de ce qu'est la légende du roi Arthur tel qu'elle est dans la culture populaire, mais comme je l'ai écris plus haut, l'histoire d'Arthur est largement à prendre avec des pincettes, de grosses pincettes si possible. Tant et si bien qu'il appartient aux auteurs de la modifié afin de mettre en avant tel ou tel propos dans sa narration. Ici on retrouve donc un thème cher à Ritchie : le héros aux origines modeste voire un peu crading, tel qu'on a déjà pu le voir dans "Snatch" entre autres.


Ce décalage avec "l'inconscient populaire" peut déjà en gêner certain, mais on passe outre car on se rappelle alors que le film est une "Origin story" et que la légende s'articule plus sur les actes du Roi avec ces chevaliers de la table ronde. Mais il y a autre chose qui tique dans ce début d'histoire. "Attaque de créatures magiques". Alors oui, dans les légendes Arthuriennes, il est bien question de créatures, orques et autres dragons forcément chères à toutes légendes médiévales. Seulement, ce début d'histoire, et donc le début du film, est traité de manière épique et stylisée ce qui renvoi immédiatement à un univers d'héroïc-fantasy. Et là, le décalage s'accentue ; et le spectateur commence à se demander si il regarde bien un film sur le roi Arthur...


Je suis d'accord pour dépoussiérer le mythe du roi Arthur, quitte à en modifier la forme, mais là Ritchie est allé trop loin. D'un récit réaliste de chevalerie, on est passé littéralement à un ersatz du « Seigneur des anneaux ». Et la comparaison avec l'œuvre de Tolkien est bien plus grande que ce que l'on peut imaginer car le film en reprend quelque peu l'essence en remplaçant l'anneau unique par Excalibur dans la suite du film.


Donc, après une séquence qui n'est pas sans rappeler la célèbre séquence au début de "Là-Haut" croisé avec "Snatch", Ritchie nous présente Arthur... Une sorte de petit chef de gang, gérant un bordel et quelques "affaires" alentours, tout en pratiquant la muscu et le free fight (?!!!!) ; mais qui se veut juste et prêt à en découdre pour défendre l'opprimer...enfin surtout son entourage...
En bref, le personnage d'Arthur est traité de manière ultra-moderne. Trop sans doute, car il apparaît un peu comme un anachronisme avec son époque tellement il est traité de manière contemporaine, et de ce côté, le langage résolument moderne utilisé y joue également. Et si on cherche du côté des méchants ? C'est la même histoire... L'antagoniste est Vortigern, un personnage bel et bien issus de la légende d'Arthur et qui est le frère d'Uther Pandragon, l'oncle d'Arthur. Fait intéressant donc, mais ce personnage est une copie mal faite et mal placé de Tony Montana dans "Scarface", et ce jusqu'aux habits et postures. Pour finir d'enfoncer le clou, ce personnage interprété par Jude Law n'a pas le charisme nécessaire pour faire un méchant efficace et menaçant parce qu'il est mal développé et finit par ne pas être crédible dans ce rôle.


Quant aux autres personnages, ils sont dans l'ensemble un peu faiblards ; et même si ils font leur travail sans être oubliable, ils sont trop rigides avec une courbe d'évolution qui frise le zéro. Ils sont traités très exactement comme ce qu'ils sont : des sidekicks de second plan. Pourtant, il ne manquait pas grand-chose pour en faire de bons personnages, et ainsi le spectateur aurait pu vraiment ressentir les enjeux lors des pertes dans ces rangs. En fait, le personnage qui se veut l'égal d'Arthur dans ce film n'est autre qu'Excalibur. L'épée légendaire prend trop de place dans le récit, car la prophétie dont parlent tous les personnages ne parle pas d'Arthur mais de l'épée. Bien sûr, quand les personnages parlent de l'artefact, ils parlent par extension de son porteur ; mais Excalibur est traitée avec une importance trop grande pour laisser toute la place à Arthur, et paradoxalement elle n'a pas la portée d'un objet traité comme un personnage tel que l'anneau dans la trilogie de Tolkien. Personnellement, je ressens un autre problème avec l'épée : son pouvoir quelque peu absurde. Lorsqu'Arthur maîtrise Excalibur, elle le transforme en quasi Super Guerrier, vaporisant littéralement ces ennemis. Encore une fois, on peut se dire "pourquoi pas", mais ça va trop loin, car ça enlève du mérite à Arthur, et donc de l’héroïsme, puis de l'intérêt de la part du spectateur.
Par extension, les acteurs semblent jouer du cabotinage pour faire vivre leurs personnages ; et si Charlie Hunnam arrive à convaincre, les autres peinent et Jude Law semble à l'ouest...


Cet effet de mise en scène est sans doute parmi les 3 plus grosses erreurs de Guy Ritchie dans sa réalisation, avec le fait de ne pas avoir un antagoniste à la hauteur. Sinon, la mise en scène de Ritchie est fidèle à ce qu'on lui connait : Nerveuse et Organique (qui m'a fait énormément pensé à "Sherlock Holmes 2 : Jeux d'ombres"), mais trop rythmée par endroit, faisant trop passer le spectaculaire avant la narration... On a plus l'impression d'être devant un long clip que devant un film de cinéma ; avec en plus une gestion sonore parfois à la limite du supportable, en faisant littéralement beaucoup de bruit pour pas grand chose.
Mais selon moi, la 3e plus grosse erreur de Ritchie reste la mauvaise gestion des enjeux, des motivations ainsi que de l'évolution de ses personnages. L'histoire du film est racontée selon la structure classique du "voyage du héros" mais bizarrement rythmée. En effet, on arrive à un moment dans le film où Arthur dois passer une épreuve pour pouvoir contrôler le pouvoir d'Excalibur (un peu comme Luke dans la grotte sur Dagobah dans "L'empire contre-attaque"). Ce moment doit constituer ce que le voyage appel une "Épreuve suprême", c’est-à-dire un moment dans la quête du héros où celui-ci doit abandonner son ancien chemin pour en suivre un nouveau qui va le mener à l'objet de sa quête. Ce fait est d'ailleurs corroboré par le personnage du Mage qui dit clairement au personnage de Djimon Hounsou plein de doute : "Il ne doit pas revenir des mondes obscures dans le même état, c'est là tout le truc". Une épreuve suprême donc….à 45min de film ?! C'est très tôt ! Mais la manière dont Guy Ritchie passe rapidement sur ce moment supposé être important nous le confirme, ce n'est pas une épreuve suprême ; tout juste un test pour franchir le seuil du monde ordinaire. La véritable épreuve suprême arrivera bien plus tard. Gros problème : ce passage très important est traité avec autant de célérité que celui dont je parlais précédemment. On ne sent donc pas de réel changement dans le personnage d'Arthur, l'évolution du personnage n'est pas assez marquée. J'ai vraiment eu l'impression d'avoir devant moi le même personnage à la fin du film que le petit chef de gang du début.


Cependant, il y a deux choses très importantes que je ne peux pas reprocher à ce film : Son aspect spectaculaire, son rythme effréné et son côté Fantasy Badass assumé en fait un divertissement réellement efficace doté d'un traitement original d'une histoire connue. 2e chose : malgré tout ce que j'ai pu réprouver sur l'histoire, le film est tout à fait cohérent avec lui-même. Il joue dans la démesure et le badass en assumant totalement ses choix, et Ritchie a tenu les rênes avec une mise en scène qui a ses défauts mais qui est maîtrisé, et a donc évité d'en faire une bouillie totalement absurde et indigeste.


Mais au final, il reste la question du sens.
Le point clé dans ce film est que, lorsqu'Arthur saisit Excalibur avec ses deux mains, il a des visions de son passé qui sont incomplète mais où il revoit son père se faire tuer par une être surnaturel qui a tout du sorcier noir. Le but pour lui dans cette aventure va donc être de raser la tour magique qu'est en train d'élever son oncle, et par extension d'éradiquer le sorcier qui a tuer ses parents.
Le but serait donc la vengeance ; et j’écris bien "serait", car au final, le but du personnage d'Arthur est tellement mince qu'il est difficile à définir, et c'est là que le bât blesse.
Quel est le sens de "la légende du Roi Arthur" ? Il y en a beaucoup, mais en un mot, je dirais la Chevalerie et son code d'honneur. Ceci implique entre autre la défense des faibles, l'honnêteté, la justice, le courage, etc... C'est ça, la légende du Roi Arthur ! Ici, on retrouve un côté chevaleresque dans le personnage d'Arthur, mais il n'est qu'esquissé et n'a pas de poids face à la "badass attitude" omniprésente et à l'absence de but. On passe la majeure partie du film à se demander ce qui fait avancer ce personnage, et lorsque celui-ci subit son épreuve suprême, comme je l'ai déjà écrit, elle est trop peu développé pour vraiment avoir du poids et le changement qui intervient chez Arthur est trop faible et arrive un peu comme un cheveu sur la soupe.


Pour moi, ce film reprend une mythologie iconique et importante dans la culture populaire mais en loupe l'essentiel : le sens. Car à trop vouloir moderniser et s'écarter des canons habituels des légendes arthuriennes, le film s'est perdu en route. Il reste cependant un bon divertissement, efficace et spectaculaire qui a le mérite de nous faire voir le roi Arthur comme on ne l'a jamais vu.

Lukeskyforges
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le 2 juin 2017

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Lukeskyforges

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