Je n'ai jamais vraiment compris pourquoi ce film n'avait pas la côte auprès des critiques de cinéma. Ou plus exactement, je ne comprends qu'une chose, c'est qu'au moment de sa sortie en 1966, une partie non négligeable des gens, dont certains critiques de cinéma, pensait que derrière le rideau de fer, il y avait un vrai paradis inaccessible aux pauvres occidentaux habitant de terribles pays capitalistes. Les évènements de 1956 en Hongrie étaient peut-être loin mais ce n'est qu'à partir des évènements de Prague en 1968, qu'une grosse brèche, difficile à colmater, s'ouvrait dans les illusions et rendaient, postérieurement, le film très crédible.


Personnellement, c'est un film que je connais très bien de longue date (passages récurrents à la télé), que j'apprécie pour son efficacité, que j'apprécie pour le casting alors qu'Hitchcock n'aurait pas eu son mot à dire et que de surcroît il a détesté, que j'apprécie pour son atmosphère à la fois inquiétante et romantique.
Bref, j'ai donc tout faux sur ce coup-là ...


Eh bien je vais tenter de me justifier ...


D'abord le casting :
Paul Newman est un acteur dont j'aime la façon de jouer. Ce n'est pas un homme extraverti. Face à ces acteurs (surtout américains) qui dégainent puis ensuite réfléchissent, j'apprécie cet acteur qui réfléchit puis éventuellement dégaine. Un peu dans un style Gregory Peck que comme par hasard, j'aime bien aussi. Dans "le Rideau Déchiré", où le jeu est technique et serré, il me parait être dans son élément.
Julie Andrews. Quels superlatifs faut-il lui attribuer à cette actrice qui m'a toujours fait rêver dans "Mary Poppins" et surtout "la Mélodie du Bonheur". Ici, elle est dans un autre registre et ma foi, elle me parait très crédible dans ce rôle d'assistante et fiancée du professeur Armstrong. Elle ajoute une note de fraîcheur, de tendresse dans ce monde de brutes. Elle joue magnifiquement le personnage dépassé puis outré par la trahison du professeur. On voit ici qu'on est dans la vraie vie : qui pourrait comprendre d'emblée les enjeux de ce qui se passe, du projet tortueux du professeur ?
Ah, la somptueuse scène archi-romantique avec le paysage fleuri et la musique ad hoc (c'est super kitsch mais j'adore et j'en sors toujours ému) sur la petite colline où elle découvrira la vérité. Dans ce film, elle incarne l'amour "durable", un être à la fois fragile et déterminé.


Il y a dans le casting deux autres acteurs, qui jouent généralement des seconds rôles et que j'apprécie toujours de retrouver au détour d'un film.
Lila Kedrova joue ici la comtesse polonaise qui cherche désespérément à fuir le paradis qui se trouve au delà du rideau de fer et cherche des "répondants". Elle joue une foule de petits rôles dans de nombreux films (razzia sur la chnouf, la lettre du Kremlin, Cyclone à la Jamaïque, etc ...)
David Opatoshu qui joue Mr Jacobi, l'organisateur de la fuite dans l'autocar. Il joue aussi et surtout le rôle d'un responsable de l'Irgoun dans "Exodus" de Preminger. On le trouve régulièrement dans des rôles plus ou moins équivoques dans des films d'espionnage ou des séries policières.


"Le Rideau Déchiré", c'est aussi une mise en scène que je trouve très réussie dans les nombreux plans de toutes sortes pour mettre en perspective les acteurs, mettre le focus sur un acteur alors que c'est un autre personnage, flou, qui parle à l'arrière-plan. Le parti-pris de transformer l'atmosphère à l'Est en grisaille permanente sauf les couleurs flashy du chapeau de Lila Kedrova. Le spectacle de danse avec ses détails de la scène et l'invasion progressive et angoissante du théâtre par la Stasi. Certains contrastes sur le bateau où se déroule le congrès scientifique entre la salle à manger sans chauffage et l'atmosphère douillette de la chambre où Newman et Julie Andrews sont au lit. Etc ...
N'oublions bien sûr pas l'angoissante et longue scène de l'assassinat de l'agent de la Stasi montrant "qu'il n'est pas si facile de tuer un homme"


Bien sûr des esprits chagrins vont trouver que l'intrigue comporte son lot d'invraisemblances alors que personnellement, je trouve qu'au contraire, elles s'enchainent tellement bien qu'on y croit dur comme fer ! On est dans l'aventure où les personnages paraissent devoir réagir en fonction des nombreux aléas donnant une efficace impression d'improvisation.


"Le Rideau Déchiré" fait, pour moi, bien entendu, partie des meilleurs films de Hitchcock où on sent parfaitement sa patte dans la mise en scène et dans la maîtrise du suspense.

JeanG55
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le 4 janv. 2022

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JeanG55

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