Si je devais faire une liste des choses qui m’ont plu ou séduit dans ce film, je pense que – l’air de rien – celle-ci serait assez longue.
Pas mal d’inventivité visuelle.
Une narration cohérente pour un sujet à hauteur d’humain.
Une approche sincère et touchante magnifiée par un toujours aussi sublime Omar Sy.
Quelques moments où j’ai ri, aussi…*


Ah ça - il n’y a pas à dire – je n’ai pas l’impression que Michel Hasanavicius nous l’ait joué en dilettante sur ce coup-ci.
Au contraire même, je trouve qu’il y a une certaine prise de risque de sa part à sortir – une fois de plus – de sa zone de confort.


Seulement voilà, ce « Prince oublié » je ne suis pas parvenu à rentrer dedans.
Et pour moi la raison tient en un mot : l’artifice.


Que ce film ait recours à de nombreux artifices visuels ou narratifs n’est en soi par un problème. Bien au contraire.
L’artifice c’est justement le cœur de tout art.
Un cœur qui ne prend d’ailleurs vie qu’en se faisant oublier.
Et qu’importe qu’on soit dans un mélodrame ouzbek ou dans une épopée gorgée de CGI, l’artifice fonctionne sitôt le spectateur n’a plus l’impression d’être face à un film mais à plutôt à l’intérieur même de l’histoire.
Or, c’est là que le bas blesse de mon point de vue. Face au « Prince oublié », je suis resté l’essentiel du temps face à un film, ne rentrant que trop peu souvent à l’intérieur de l’histoire.


Alors que s’est-il passé ?
Où est le problème ?


Est-ce que ça vient de ce monde fantasmagorique dans lequel se déroule une partie de l’intrigue ?
C’est vrai que ce monde est quand-même très flashy, très nian-nian, et franchement pas si original que ça. D’autant plus que s’ajoute à cela toute une galerie d’imageries numériques certes propres mais au rendu parfois factice ; discours que je pourrais d’ailleurs aussi tenir pour les incrustations sur fonds verts.
Mais bon après on parle aussi d’un univers imaginaire. Le rendu artificiel et patchwork des choses est au fond assez cohérent avec ce qu’on nous dit de cet endroit. Et comme je le disais un peu plus haut : il y a beaucoup trop de petits détails visuels intéressants et riches de sens dans ce petit monde là pour y rester pleinement insensible.
Donc non, au fond, ce monde fantasmagorique tient globalement la route. Le problème n’est pas là.


Alors est-ce que le problème vient-il dans ce cas de toutes ces scènes qui se déroulent en dehors de ce monde fantasmagorique ?
C’est vrai qu’après tout, là encore, tout est loin d’être rose. Je pense notamment à ces premiers plans très pauvres visuellement qui rappellent un téléfilm de France Télévisions, ou bien encore quelques petits détails qui font vraiment « gimmicks d’écriture » comme le « check-tartare » par exemple.
Mais bon, comme dit plus haut, je trouve que tous ces problèmes sont compensés en partie par une approche humaine et sincère de cette question.
L’écriture parvient à éviter habilement tous les moments qui auraient pu être trop pathos, tout en sachant délivrer son propos au travers de dialogues équilibrés, limpides et sans fioriture. La qualité d’interprétation aide aussi beaucoup, selon moi, à faire passer la pilule (..à une exception près : Bérénice Béjo. Mais bon, on est tous habitués.)
Donc non, globalement là aussi ça fonctionne plutôt pas mal.


A dire vrai, le cœur du problème n’est pas dans le détail mais plus dans l’ensemble.
Tout ça mis bout à bout ne s’emboite pas.
Passer régulièrement d’une réal de téléfilm de France 2 à celle d’un blockbuster flashy et numérisé, ça dénote quand-même énormément.
Et lier tout ça avec une musique mielleuse digne d’une comédie familiale américaine des années 80 alors que l’écriture s’efforce justement de faire preuve de mesure, ce n’était clairement pas l’idée du siècle.
Et quand je constate qu’en plus de tout ça, tous ces artifices sont mis au service d’une intrigue au fond assez simple et téléphonée, eh bah là encore ça coince.


Au fond il est là le vrai problème.
A juxtaposer ainsi des artifices qui n’ont rien à voir ensemble, ce « Prince oublié » en devient presque une œuvre difforme qui ne parvient jamais, du moins me concernant, à imposer une identité formelle, une atmosphère propre, un espace sensoriel défini.
Pour le dire autrement, le « Prince oublié » ressemble beaucoup à des fragments d’autres choses plutôt qu’il ne ressemble vraiment à lui-même.
L’air de rien, il y a quand-même beaucoup de « Vice-Versa » dans ce « Prince oublié », notamment dans cette façon d’allégoriser les troubles intérieurs du personnage principal.
De même, je ne peux m’empêcher de reconnaitre parfois des mécaniques propres au « The Fall » de Tarsem Singh.


Seulement voilà, « Vice-Versa » avait pour lui un art de l’allégorie bien plus poussé et surtout une cohérence d’ensemble davantage facilitée par le fait que tout le métrage soit fait en images de synthèse.
De même, « The Fall » savait mieux gérer sa transition entre ses deux univers, notamment par le fait que le monde fantasmé ne cherchait jamais à paraître factice, bien au contraire. D’ailleurs tous les décors utilisés étaient bien physiques. Et même si l’ensemble détonnait par son esthétique chamarrée et atypique, elle était toujours reliée au « monde réel » par l’intermédiaire des références multiples faites au cinéma.
Rien de tout ça malheureusement dans le « Prince oublié ».


Et franchement dommage.
Dommage car – encore une fois – il y a de bons petits moments, de bonnes petites réparties, de belles petites audaces visuelles…
Mais bon, un film n’est pas simplement qu’un enfilement de scènes, un défilé de petites cellules qui se contentent de courir à toute vitesse devant la lumière d’un projecteur.
Un film c’est un ensemble. Un tout cohérent qui existe au-delà de son histoire et de ses petits moments. Il existe aussi au travers des sens, au travers des sons, au travers d’un monde qui lui survit même après le visionnage.
Or sur tous ces domaines là, j’avoue que j’ai du mal à reconnaître la rigueur de Michel Hazanavicius.
J’ai même du mal à reconnaître la patte d’un cinéaste.
Je ne vois dans ce « Prince oublié » qu’un patchwork d’artifices qui sont certes plus qu’honnêtement ouvragés mais qui, regroupés tous ensemble, ne parviennent pas à ouvrir cette porte magique qui fait que soudainement on n’est pas seulement devant un film ; cette porte magique qui fait qu’on est brusquement plongé dans un monde, dans une histoire.


Pas de porte magique donc ce coup-ci.
Pas de déplaisir non plus malgré tout.
Juste une déception.
Celle d’avoir vu un film passable fait avec des fragments de ce qui aurait pu être un film singulier et marquant.

Créée

le 13 févr. 2020

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