Le Prince d’Égypte fait partie de la pré-histoire de Dreamworks. Une époque où Shrek n'était pas encore né et dans laquelle le studio essayait de concurrencer Disney sur son propre terrain, l'animation traditionnelle en 2D.
De cette volonté découle 4 films dont seul le tout premier connu réellement le succès et la postérité, même si peu de gens l’associent aux créateurs de Madagascar and co, tant il semble éloigné de ce que le studio pondra comme productions à partir de 2001.


Et si ma mère m'a emmené voir tous les autres films 2D de la compagnie au cinéma, je n'avais encore jamais vu ce classique avant aujourd'hui et putain, qu'est ce que j'aurais aimé le découvrir étant enfant. Qu'est ce que j'aurais voulu ressentir cette claque visuelle et sonore qui m'aurait sans doute marqué à vie ! C'est l'un des plus beaux dessins-animés que j'ai eu l'occasion de voir.


De base le projet était très ambitieux, adapté les 10 commandements sous cette forme et en le rendant tout public, c'est quand même quelque chose. Mais à Dreamwork, ils se sont donnés les moyens de leur projet et le résultat est à la hauteur des attentes techniques.
On est sur le même niveau qu'un Tarzan sortit l'année suivante. L'animation est époustouflante, les plans sont d'une richesse picturale de tous les instants, chaque composition fourmillant de détails et la mise en scène est d'une puissance émotionnelle que je n'ai jamais ressenti dans aucun autre dessin-animé de l'époque. Que se soit la séquence d'ouverture, le "flash back" de Moise entièrement réalisé avec des hiéroglyphes, la manière avec laquelle sont gérées les transitions ou les ellipses, la façon dont les réals parviennent à nous faire ressentir la souffrance des esclaves sans jamais nous la montrer explicitement ou cette superbe scène où le héros prend conscience de la maltraitance de ses esclaves et où il commet l'irréparable dans un acte spontané et irréfléchi... C'est vraiment la réalisation qui donne toute son intensité émotionnelle à l'histoire. Si la réal ne suivait pas, le film n'aurait plus aucun intérêt. Il suffit de voir ce plagiat français pour bien comprendre la différence.


Et que dire de la musique composée par le génial Hans Zimmer en plein âge d'or. Bande-son omniprésente alliant des sonorités égyptiennes et hébreux dans un parfait mélange. C'est sans conteste l'aspect le plus mémorable du long-métrage. Bon je suis pas forcément très content qu'ils aient décidé d'en faire une comédie musicale. Je pense que c'était largement dispensable et que certains passages chantés semblent un peu forcés. Mais vu que les chansons sont excellentes, je ne me sens de gueuler à ce sujet.


En revanche, le vrai défaut du film c'est son côté très religieux qui m'a particulièrement dérangé. En même temps, c'est dans l'essence même de l'histoire, difficile dans ces cas là de faire l'impasse sur la présence de Dieu. On allait pas rationaliser la bible non plus hein, n'est ce pas Ridley Scott...
Mais est ce que c'était toutefois nécessaire d'en faire des caisses sur lui, sur la croyance, l'importance de la foi et la destiné divine. Est ce que c'était utile de démystifier les croyances égyptiennes en les présentant comme de la prestidigitation ? Et surtout, est ce que c'était indispensable de faire de Dieu, un vrai protagoniste avec une telle influence sur le déroulement du récit ? Non parce que ça affecte en mal le scénario du long-métrage. Comment voulez vous vous sentir investi pour une rivalité dans laquelle une entité supérieure a déjà choisit son camp. Le combat est déjà gagné d'avance et de ce fait, les enjeux pourtant très forts perdent de leur importance et donc le film se retire de lui-même toute tension et tout suspens de son scénario. Moise a beau être le personnage principal, c'est Dieu et lui seul qui fait avancer le récit.


Dès lors pourquoi ne pas avoir fait de Dieu une présence fantomatique extérieure à l'histoire et dont l’existence ne serait que fortement suggérée ? Non seulement ça aurait renforcé les enjeux du long-métrage, mais surtout ça aurait recentrer le propos du film sur ce qui devrait être son thème central, la quête de liberté. L'enjeu est tout de même de suivre la libération d'un peuple asservit par une civilisation "supérieure" car elle ne reconnaissait pas ses croyances et ne comprenait pas sa culture. Le Prince d’Égypte devrait réaffirmer le droit à chacun d'être libre et ce indépendamment de qui il est. Ce que le film fait attention, mais cet aspect a tendance à être perturber par le côté mystique du récit. A partir du deuxième acte, on insinue que la religion égyptienne n'est qu'une fumisterie, que seul le Dieu des hébreux existe et que si le royaume du Pharaon se retrouve maudit c'est parce que ce dernier n'a pas voulu reconnaître ce dieu ainsi que la légitimité de son peuple. Nous touchons du doigt les limites d'un récit biblique et c'est regrettable, d'autant que le combat pour permettre à un peuple de disposer de lui-même était une notion suffisamment forte pour porter d'elle-même le film sur ses épaules.


Mais fort heureusement, l'athée laïcard que je suis laisse sans problème sa place au cinéphile passionné d'animation. Car au-delà la qualité technique et musicale du long-métrage dont j'ai déjà fait moult louanges toute à l'heure, les scénaristes parviennent également à m'accrocher dans leur fresque dantesque à travers une narration maitrisée et surtout de superbes personnages principaux parfaitement développés et dont la relation fraternelle au cœur du film en devient le pivau dramatique.


D'un côté Moise, jeune inconscient qui ne se souci nullement su sort des autres jusqu'à ce qu'une hébreux lui révèle qu'il est lui-même issu de ce peuple dont il profite allègrement. Ce n'est qu'à partir de là que le prince parvient à s'identifier à ses esclaves et que leur souffrance devient pour lui intolérable. Une empathie qui le forcera à retrouver les siens, réapprenant peu à peu la culture hébreux, avant de revenir au royaume pour libérer les siens.
De l'autre côté, Ramsès, fils légitime du Pharaon et héritier direct au trône sur qui repose beaucoup de responsabilités qu'on lui assiège dès son plus âge. Lors du décès de son père il entre dans la suite logique de ce dernier avec pour soucis de faire mieux que le paternel en respectant à la lettre ses préceptes, essayant de ne jamais devenir le maillon faible.
Un conflit naîtra alors entre ces deux êtres autrefois très proches mais qui forts de leurs parcours divergeant appartiennent désormais à deux mondes différents, chacun s'évertuant à protéger le sien. Pour libérer son peuple, Moise n'a pas d'autre choix que de détruire celui dans lequel il a grandit et cette solution radicale est autant un déchirement pour lui que pour nous.


C'est une excellente idée d'avoir à ce point étoffé les rapports affectifs entre les deux frères, transformant ainsi Le Prince d’Égypte en une tragédie grecque dans laquelle chaque pas que fait Moise vers son peuple l'éloigne un peu plus de son frangin, là où l'entêtement de Ramsès provoque irrémédiablement sa perte. Les trajectoires de chacun en deviennent d'autant plus touchantes lorsqu'on sait qu’auparavant les deux étaient inséparables, mais que l'âge adulte et les responsabilités de chacun auront raison de leur complicité. Cette relation profonde et cohérente écrit avec justesse sans aucune dramatisation forcée est de loin la plus grande qualité scénaristique de l'ensemble.


Il y a 20ans Dreamworks parvenait à réaliser une histoire sombre et adulte parfaitement racontée et dont la faiblesse des enjeux due à la nature même du récit était compensée par une relation fraternelle bouleversante mit au centre du récit. Le tout en mettant en scène la souffrance et l'oppression d'un peuple asservit par des puissants sans jamais aseptisé la violence de leurs conditions et avec une maitrise dans la réal et dans l'animation 2D à faire pâlir de jalousie les dirigeants de Disney.
Et quand on voit aujourd'hui ce qu'est devenu cette enseigne, au point qu'on encense la soit-disant maestria d'un Dragons 2. Je me dis que les fans d'animation devrait d'avantage s'intéresser à la pré-histoire du studio pour comprendre qu'on est encore loin du résultat obtenu 20ans plus tôt.

Alfred_Tordu
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le 30 juin 2017

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