Le Pas suspendu de la cigogne par Hunkarbegendi

Un jeune journaliste et son équipe sont envoyés à la frontière entre la Grèce et l'Albanie matérialisée par un fleuve, un pont, et une ligne de démarcation gardée par des militaires. Un camp de réfugiés a été établi non loin de la dans de vieux bâtiments et dans un vieux train qui ne fonctionne plus. Ces réfugiés proviennent des différents pays qui composaient jadis l'empire ottoman : Turquie, Albanie, etc. Parmi ces réfugiés, le journaliste croit reconnaitre un homme politique grec qui a disparu de cela plusieurs années (Marcelo Mastroianni ). L'homme est maintenant marchand de patates. Le journaliste rencontre son épouse (Jeanne Moreau) à qui il fait part de la nouvelle. Celle-ci, qui s'est remariée entre temps se rend à la frontière en train pour le rencontrer.

L'équipe de journalistes veut capturer les retrouvailles (qui ont lieu sur un pont) avec la caméra. Cependant, les retrouvailles échouent d'une certaine manière puisque la femme dit à la caméra que ce n'est pas lui. L'homme regarde dans la direction de la caméra éberlué. Qu'est-ce qu'on lui veut ? Cependant, un certain doute s'installe. La femme l'a peut-être volontairement pas reconnu, respectant la volonté de l'homme d'être devenu quelqu'un d'autre. Ce doute demeurera présent jusqu'à la fin du film. C'est finalement un mariage entre deux jeunes gens et entre deux communautés qui ont été séparées par une frontière qui sera captée par l'équipe de tournage.

Le Pas suspendu de la cigogne ouvre la trilogie de Théo Angelopoulos qui se poursuivra par le Regard d'Ulysse et se terminera par l'Éternité et un jour. Dans ce premier volet, il inaugure son questionnement sur la notion de frontière/limite. Il y a la frontière réelle, cette ligne de démarcation qui a été tracée sur le pont, et au dessus de laquelle le militaire fait semblant de passer, le pas "suspendu". Frontière qui n'existait pas il y a peu et qui provoque une crise de réfugiés. Il y a aussi le fleuve, de part et d'autre duquel un mariage va être organisé dans l'une des dernières scènes du film, sans doute l'une des plus belles. Le marié côté albanais, la mariée - qui n'est autre que la fille de l'homme joué par Marcelo Mastroianni - côté grec. La cérémonie va se dérouler comme si les mariés étaient du même côté, avec bénédiction du pope orthodoxe, danses, et lancé de grains de riz. Le marié lancera une fleur dans le fleuve pour symboliser son amour. Cependant, les mariés ne pourront pas se rejoindre. Traverser le fleuve serait en effet se vouer à une mort très probable, les militaires n'hésitant pas à faire feu.

Enfin, l'installation de câbles qu'on devine téléphoniques par de mystérieux petits hommes en jaune dans une scène postérieure symbolise un lien malgré tout créé entre chaque côté de la frontière. Cette communication était déjà marquée aussi par les trains qui circulent entre les deux pays par la voie de chemin de fer, mais aussi ce train à l'arrêt dans lequel certains réfugiés se sont établis qui montre la stagnation d'une situation dans un temps passé suspendu. Enfin, c'est bien sûr la frontière de l'identité qui est personnifiée par l'homme interprété par Mastroianni. On se saura jamais s'il est cet ancien politicien qui était aussi écrivain et qui a quitté la politique sur un coup de tête poétique.

Un film long, lent et austère comme a l'habitude de le faire le réalisateur, mais qui construit des images magnifiques et des dialogues poétiques, au service d'une réflexion philosophique qui n'est pas donnée, mais que le spectateur doit faire lui-même.