La nuit s'était déjà confortablement installée quand le train s’élança. C'est sous ma forme humaine que je quittais la côte, mais la lune ronde, que je percevais par la fenêtre, appelait la louve tapie dans ce corps. Pour aller où ? Telle était la sinistre question qui me hantait. Comme la plupart de mes congénères j'avais choisi de faire passer devant ma vie de louve ma vie d'humaine, et celle-ci m'avait conduite à Paris. Je stagnais et je bouillonnais. Quand je vois tout le chemin que j'ai parcourus, et tout ce qui me reste à faire encore avant d'être en paix, m'échouer dans cette ville claustrophobique m’excède. Il n'y a rien à faire qu'attendre. Peut-être pourrais-je tirer le meilleur parti de cette attente ? Peut-être que le cinéma que mon humaine aime tant pourrait m'aider à trouver les réponses que je cherche ? Et c'est ainsi que j'ai commencé cette étude, sur ma propre espèce, vue par le prisme du cinéma.
Comme nous l'avions déjà fait avec les vampires, mon humaine choisit méticuleusement les films que nous regarderons, et les classa, par cycles et par périodes. Comme l'année dernière, nous commencerons donc par ce que nous propose le cycle Universal Monsters.
Le premier film s'appelle *Le monstre de Londres*. Ce titre me fait sourire, d'amusement d'une part, puisque cette vision de mon espèce comme de monstres est typiquement humaine. De joie d'autre part, car je n'ai jamais vu Londres, et j'ai hâte de voir à quoi ressemble mes compatriotes d'outre-manche. Allons donc, puisque ce train n'est pas prêt d'arriver, oublions la douleur de l'éloignement qu'il creuse à chaque instant par ce divertissement Londonien.

C'est donc dans cet état d'esprit enjoué autant que blasée que j'ai lancé le premier film de l'histoire qui ai retenu mon attention sur le thème de la lycanthropie. Je dois avouer qu'on m'en avais dit beaucoup de mal, et je m'attendais à m'apitoyer sur le sort qu'on ferait à mes pauvres congénères, que j'aurais noyé dans quelques éclats de rire amer, pour arriver à Paris avec l'humeur maussade qui convenait. Ce ne sera pas la première fois dans le mois je l'espère, mais j'ai été surprise. Sans être un chef-d'oeuvre, le film est tout à fait convenable. Du moins... C'est l'humaine qui parle. Humainement, j'ai été séduite par le travail très réussi sur les costumes et les décors, que j'ai trouvés toujours très justes et d'une élégance délicieuse. Ternissant un peu le tableau, le scénario est simplement convenable, sans trop d'incohérences mais avec des ficelles scénaristiques un peu trop apparentes. Je ne souhaiterai pas prendre les vampires en exemples trop souvent - ce serait faire jubiler puérilement ces suceurs de sang - mais tout de même, je vais me sentir l'envie fréquemment de faire des comparaisons avec ce domaine que je connais bien désormais. Alors allons-y pour les comparaisons : si le loup-garou a moins déchaîné la fougue des scénaristes que les vampires, il y a certainement plusieurs raisons. Mes amis vampires goguenards diront qu'ils sont plus attirant et élégants que nous autres Hommes-loups, mais je leur répondrait que le nombre d'humain à admirer les loups avec une idolâtrie presque mystique dépasse aujourd'hui bien largement ceux qui rêvent encore de gentleman aux dents longues. Cependant je leur concède qu’imiter notre transformation face à la caméra est bien plus complexe que de simplement rendre un grand maigre un peu palot et lui mettre des prothèses dentaires. Mais nous y reviendrons, et je parlais de scénario, je vais donc poursuivre dans cette voix. Dernière différence qui me saute aux yeux dès ce premier film : nous n'avons pas de roman de référence. Là où Bram Stoker faisait l'unanimité chez les buveurs de sang, nous devons nous appuyer sur un ensemble beaucoup plus large et insaisissable de légende urbaines et de contes païens, desquels il faut pour les simples mortels démêler la fabulation de la réalité. Et pour m'y être un peu penchée lors de la quête de mes chimères, je peux affirmer que se repérer dans ce fleuve de récits est un ouvrage ardu. Partant de là, il est assez saisissant de découvrir la grande simplicité du scénario du Monstre de Londres, là où ce premier film aurait tout simplement du se noyer dans la masse des légendes. On peut supposer qu'Universal, fort de ses réalisation précédentes, appuyées sur les ouvrages de grands raconteurs, a su s'inspirer de ces premières réalisations et calquer un schéma scénaristique ressemblant pour mon ami lycanthrope anglophone. Mais malheureusement le studio aura versé dans le penchant inverse, restituant un scénario fade et au mauvais arrière-goût de déjà-vu. L'histoire de la fleur était intéressante et assez inédite, mais trop peu exploitée, ne servant finalement que de support scénaristique, sans approfondissement. On suit l'histoire sans heurts mais malheureusement sans passion non plus. Cependant, ma part humaine aura également apprécié l'intelligence du cadre et du montage pour faire passer sans trop se décrédibiliser quelques métamorphoses. C'est sur ce point principalement que je craignais m'exaspérer, et sur ce point donc que j'ai été agréablement surprise. Dans La Maison de Dracula, on nous infligeait sans vergogne un fondu répugnant, en gros plan qui plus est, pour ne rien cacher de la transformation du lycan. Ici, face à la multitude aussi des transformations prévues dans le film, l'équipe aura réfléchis à ne pas trop agresser nos rétines, et à masquer par quelques effets aujourd'hui surfaits, mais à l'époque élégants, quelques métamorphoses. Bon, la où la louve en moi se crispe un peu, c'est sur le "monstre" comme il l'appelle, qui n'a finalement pas grand chose d'un loup-garou. Encore très humaine sous son maquillage qui essuie les pots cassés d'un des premiers essais, la créature est assez grossière et maladroite.
Mon dernier crissement de dent du film est réservé à la mort du monstre, par un simple balle en plomb. Hu. Je veux bien que le scénariste ne soit pas allé se noyer dans les légendes mais tout de même, il aurait pu en récupérer les grandes lignes et les points communs, comme notre unique faiblesse envers l'argent. Si les loup-garous étaient si facile à tuer, ils n'auraient certainement pas perduré jusqu'en 1935... Coté défaut, on passera outre le débat houleux "film raciste ou pas ?", et mettrons les quelques grossièreté sur les personnages asiatique sur le compte de maladresses. Mais je me dois de clore en parlant son. Ma chronologie démarrant plus tard que le mois de novembre dernier, je n'aurait cette année que des films sonores au programme. Et ça promet, si on ne progresse pas très vite et très fort. Entre les jappements ridicules, les cris pas du tout crédibles et les hurlements absolument pas synchronisés, on n'aurait pas eu besoin du maquillage ridicule pour décrédibiliser la créature. Je veux bien passer outre tous les défauts techniques qu'on avait pas eu le temps de corriger encore en 1935, je commence à être habituée, mais ça, c'est juste impardonnable, et permet au spectateur de ne surtout pas être trop plongé dans le film, en lui rappelant l'artifice au moins toutes les dix minutes... Comment voulez-vous avec ça que j'assouvisse mon but premier, celui de noyer ma solitude dans une meute virtuelle au cinéma ? Pour ce qui est de l'immersion on repassera. Et pour ce qui est de mon enquête aussi : comment pourrais-je faire confiance à un film qui tue son loup-garou avec une balle en plomb ?


Je suis arrivée à Paris. La nuit est moins dense. Tout est affadi ici. Je laisse mon odorat canin se répandre. Il y a une meute pas loin. Tous des gosses inconscients. Comment sont-ils devenus loups ? C'était aussi une hérésie de mon film du jour : il est effectivement possible de devenir loup en survivant à la morsure d'un lycanthrope, mais le problème est là : on n'y survit pas. Ce passage du film est bien trop rapide, on sent si fort qu'ils n'ont pas eu d'explication au fait que le personnage survive à sa rencontre avec le loup que c'en est risible. Si nous mordons c'est pour tuer, et si nous tuons c'est pour manger. Il ne reste souvent rien du corps de la victime d'une meute. Nous laissons aux humains le plaisir morbide de se voir pleurer sur le cadavre de l'être aimé. Alors d'où viennent les jeunes loups de Paris ?


---Bonjour voyageur égaré. Cette critique fait partie d'une série de critique. Tu viens de lire le premier chapitre. Si tu veux voir la totalité de mon enquête, tu peux découvrir la suite ici :
https://www.senscritique.com/liste/Beauty_of_the_Beast/1620017#page-1/
Si tu n'en as rien à faire j'espère au moins que la critique t'aura plu. Bonne soirée. ---

Zalya
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le 8 nov. 2017

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