Ce film existe dans deux versions, l’originale (sous-titrée) en noir et blanc qui fait 2h02 et la française en couleurs qui fait 1h48, proposées simultanément par les éditions Montparnasse. Qu’on se le dise, le film a été tourné en noir et blanc (malgré quelques rayures la copie est potable). La version française, tronquée et colorisée (habilement) prive de voix incomparables : celles de John Wayne et Henry Fonda.


Dans ce premier volet de la trilogie de la Cavalerie, John Ford raconte comment et pourquoi les hommes commandés par le général Custer ont subi (25-26 juin 1876) la défaite de Little Big Horn (contre une coalition de Cheyennes et de Sioux, alors que le film montre des Apaches). Les libertés que John Ford s’autorise avec la réalité sont justifiées par le fait qu’ici, le chef de la Cavalerie est le colonel Thursday (Henry Fonda artificiellement vieilli par quelques mèches blanches). Rappelons au passage que c’est le même John Ford qui fera dire « Quand la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende » à un de ses personnages dans L’homme qui tua Liberty Valance (1962).


Le titre original est Fort Apache et le scénario de F.S. Nugent est l’adaptation de Massacre un récit écrit par James Warner, ceci expliquant le titre français. A noter également que le film ne montre pas un massacre du Fort Apache, mais la Cavalerie venue du fort écrasée par les Indiens hors du fort. Tout cela laisse peu de place au suspense, ce qui ne retire rien à l’intérêt du film.


Les premiers plans montrent Thursday en diligence, filant vers Fort Apache (le fort construit pour le tournage est encore visible à Simi Valley), accompagné par une charmante personne qui se révèle être sa fille Philadelphia (Shirley Temple). Avant même Fort Apache, Thursday est aigri, se sentant écarté contre son gré d’un poste où il se sentait beaucoup plus à l’aise, en Europe !


La première partie du film décrit la situation de Fort Apache avec ses nouveaux arrivants. Blessé dans son orgueil, Thursday veut marquer la région de son empreinte. Bien que divisés, les Apaches sont menaçants. Si Cochise a conclu des accords, tous les Indiens ne vivent pas paisiblement dans la Réserve qu’on leur a attribuée. Géronimo est visiblement mécontent et une bande d’incontrôlables dirigés par Diablo tend des embuscades. A vrai dire, la menace ne se précise qu’au bout de 45 minutes de film, avec la découverte à l’écart du Fort Apache, de 2 cavaliers massacrés par des Indiens. Cette découverte est faite par le jeune Michael O’Rourke (John Agar) qui accompagnait la jolie Philadelphia dans une promenade quelque peu inconsciente. Une belle scène a montré ces jeunes gens attirés dès leur premier coup d’œil. Mais on est dans un lieu régi par les codes de la vie des cavaliers. Ainsi, lorsque Michael vient présenter sa carte à son officier qui n’est autre que le père de Philadelphia, il tombe sur celle-ci par hasard. Enchantée, Philadelphia engage la conversation… au grand dam de Michael qui finit par avouer qu’il n’espérait voir ni Philadelphia ni son père, du moins à ce moment. Charmante et amusante, la scène fait partie d’un ensemble qui imbrique la vie militaire et ses codes avec la vie civile, parce que Fort Apache est une sorte de ville. On admire les tenues de Philadelphia, un bal réglé au millimètre où chacun se fait un devoir de tenir son rang avec fierté. Les hommes en uniforme impeccable qui apparaissent un peu guindés à première vue paradent avec des femmes endimanchées à leur bras. Bref, ce microcosme affiche ses valeurs et les entretient avec panache. Dans le fort, tout tourne autour de la vie militaire. La BO le fait sentir de bout en bout avec des airs aussi martiaux qu’entrainants. Entre hommes c’est la complicité virile qui prime. Du côté des femmes on s’organise et on s’entraide (pour mettre en place un intérieur, par exemple) et il est impensable d’envisager un autre avenir que dans la Cavalerie. Ainsi, Michael est le fils d’un sergent-major qui s’est brillamment illustré au combat et vit au fort avec sa petite famille. Le capitaine Colingwood qui espère une mutation pour West Point ne l’obtient qu’après son départ en mission, sa femme refusant de le rappeler au dernier moment, disant que son mari n’est pas un lâche.


Le capitaine York (John Wayne) connaît bien les Indiens. Pour retrouver leur liberté, Les Apaches ont élu domicile au Mexique. Ce qui ne les empêche pas de chercher à revenir et d’accepter de parlementer avec York (accompagné d’un homme connaissant… l’Espagnol). York a la confiance de Cochise. Mais Thursday veut s’illustrer. Il usera et abusera de son pouvoir de chef pour tenter de vaincre les Apaches. Malgré son attitude honteuse (tant sur le plan militaire que sur le plan humain) qui conduira au désastre, Thursday restera honoré par la Cavalerie. Une fin qui laisse un goût amer.


Avec ce film, John Ford se pose en Américain qui s’intéresse à l’histoire de son pays. Les Indiens ayant subi l’avancée irrésistible vers l’Ouest, il a fallu tant bien que mal trouver des accords pour cohabiter sur un même territoire. On voit les rapports de force, les caractères des uns et des autres et comment certains comportements ont pu influer sur le cours de la grande Histoire.


Ford montre que pour un militaire, un ordre c’est un ordre, même s’il peut conduire à un désastre. Il faut dire que les jeunes recrues sont soumises à de longues séances d’instruction dès leur incorporation. Cela vaut quelques scènes réjouissantes de confrontation entre des militaires aguerris et des jeunes qui découvrent les règles en usage. Parmi eux, on trouve même d’anciens sudistes. John Ford en profite pour nous amuser avec une initiation à la technique pour monter à cheval qui dégénère en une incroyable pagaille dans un nuage de poussière. Et si une bagarre peut éclater, les uns et les autres se mettent rapidement d’accord, un peu plus tard, pour obéir à des ordres de façon très personnelle quand il s’agit de se débarrasser d’une barrique de whisky frelaté !


Du côté de l’interprétation, même si John Wayne a le beau rôle, sa présence n’est pas écrasante. Henry Fonda se tire très bien d’un rôle ingrat et Shirley Temple est une charmante jeune fille qui n’a plus grand-chose à voir avec la baby-star qu’elle a été. Parfaitement crédible, elle porte remarquablement bien de magnifiques costumes. La galerie de personnages vaut le détour et on sent bien que John Ford a encore beaucoup à dire et à montrer (le plateau du Colorado).

Electron
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le 9 juil. 2014

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