Cinéaste du « mauvais goût » selon certains, Marco Ferreri démontrait déjà son talent de satire féroce avec Le Mari de la femme à barbe, son cinquième film. Une œuvre monstrueuse et cruelle à bien des égards, qui grâce à la restauration nous dévoile la fin voulue par le réalisateur.


« Ne pleure pas, s'il te plaît, les singes ne pleurent pas ! » C'est ainsi que s'adresse l'entreprenant Antonio à sa muse et esclave, de fait, Maria qui souffre d'hypertrichose, une maladie qui se manifeste par une pilosité envahissante... Après l'avoir déniché et « libéré » de sa modeste condition, commis dans un couvent, Antonio fera tout pour assurer son propre profit sur le dos de son infortunée compagne, qu'il n'hésitera pas à épouser et à féconder malgré son dégoût ... Pour mieux conserver sa poule aux œufs d'or qui l'enrichit au fur et à mesure de spectacles forains ou de strip-tease dans les cabarets de Paris...
Le cinéma de Marco Ferreri ne cherche jamais à brosser dans le sens du poil son spectateur en lui tendant un miroir, à peine déformant, pour mieux entrevoir la monstruosité et la stupidité de l'Homme. Après son premier film italien, Le lit conjugal, où on assistait à l'exploitation d'un mari par sa femme pour tomber enceinte et mieux le détrousser ensuite, on retrouve ici un schéma plus familier avec un homme instrumentalisant sa femme. Mais si cette femme a plus l'apparence d'une bête, d'où le titre italien La donna scimmia ("la femme-singe"), c'est bien le mari qui est le véritable monstre de cette histoire.
Tout juste sorti des Monstres de Dino Risi tourné un an auparavant, Ugo Tognazzi semble reprendre un rôle qui pourrait être issu de ce joyau de la comédie italienne où duplicité, méchanceté, racisme, misanthropie étaient les « qualités » principales de ses protagonistes. Un personnage d'ailleurs bien réel, puisqu'il s'inspire de l'histoire vraie de Julia Pastrana, surnommée « la femme la plus laide du monde » et de son exploitant Théodore Lent, qui ira jusqu'à embaumer les corps de la femme et son nourrisson...pour mieux les exposer au public.


LE VÉTÉRINAIRE DE L'ÂME


Ferreri ne manquait jamais de rappeler qu'il avait suivi une formation de vétérinaire avant de bifurquer vers le cinéma. D'ailleurs son ami et acteur Michel Piccoli le surnommait affectueusement « le vétérinaire de l'âme ». Il faut dire que la métaphore animale est omniprésente dans sa filmographie de Liza, où Catherine Deneuve prenait la place du chien de Mastroianni (le titre original est "La chienne" (La cagna), à Rêve de singe où Depardieu adoptait un chimpanzé, en passant par Le Lit conjugal où Marina Vlady agissait telle une reine des abeilles. Outre la prestation géniale de Tognazzi, à qui Ferreri sut offrir des rôles dramatiques et complexes comme celui-ci, on retiendra évidemment la superbe Annie Girardot, alors au sommet de sa carrière, totalement méconnaissable grâce au travail d'Alberto de Rossi. Ce maquilleur qui « inventa » le regard d'Audrey Hepburn ou transforma Elisabeth Taylor en Cléopatre, parvient ici à transformer l'actrice française en « la femme la plus laide du monde » !
La séquence de strip-tease, aussi érotique que dérangeante, demeure encore aujourd'hui un véritable choc. L'incarnation de Girardot en femme-singe mordant et volant les visiteurs, s'accrochant aux branches tout en dévoilant son corps est aussi comique que malaisante. La réception à Cannes fut des plus froides, le film ne trouva pas son public ni ne toucha la critique. Ce qui explique sans doute l'invention d'une autre fin (voir bonus) moins glaçante et cynique.


En somme, Ferreri nous livre avec ce Mari de la femme à barbe (notons l'intérêt du titre français, ce qui n'est pas toujours le cas...) une satire cinglante, désespérante et fataliste. Car c'est parce qu'elle voudra vivre comme les autres, (avoir un mari, un enfant) que Maria finira par succomber...


(Retrouvez l'évaluation de la partie technique de l'édition Blu Ray-dvd de Tamasa par ici : http://www.regard-critique.fr/rdvd/critique.php?ID=6724)

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le 17 févr. 2022

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