Quoi de plus fou que le monde de la finance ? Stock-option, junk bond, raid boursier, parachute doré, subprime, évasion fiscale, trading haute fréquence, tous ces termes, encore inconnus il n’y a pas si longtemps nous sont, depuis la crise de 2008, devenus parfaitement familiers. Notre compréhension de l’univers boursier, qui plus est dans une époque où les transactions financières sont exécutées à la microseconde, reste profondément abstraite mais n’empêche personne de saisir les enjeux fous d’un système qui, dorénavant, échappe totalement à l’analyse humaine et bancaire traditionnelle.

Un monde rutilant, exposé, toutefois longtemps méconnu du citoyen lambda. Le Wall Street d’Oliver Stone pointait, dès 87, les dérives de la finance à travers le personnage culte de Gordon Gekko (Michael Douglas). Un capitalisme émergeant, créateur d’emploi qui, dans les années 80, en a fait profiter beaucoup. Jordan Belfort fait parti de cette meute. Influencé, comme beaucoup, par le film d’Oliver Stone, il est embauché comme assistant courtier chez L.F. Rothschild en 87. L’ambitieux jeune homme de 25 ans découvre l’effervescence de Wall Street où la consommation de cocaïne est pratique courante. Séduit par ce rythme infernal, Belfort fonde très vite sa propre entreprise de courtage, Sratton Oakmont. En 2005, presque vingt ans plus tard, Belfort sort de prison après des condamnations de détournement de fonds et de blanchiment. Aussitôt, il sort un livre écrit en prison : The Wolf of Wall Street.

Un script de cinéma, à n’en pas douter, dont l’achat des droits engendra une véritable guerre aux enchères entre Leonardo DiCaprio d’un côté et Brad Pitt de l’autre. Une bataille remportée par DiCaprio, sûrement motivé par la promesse faite par Scorsese de s’occuper de l’adaptation. Face au scénario du Loup de Wall Street, portrait délirant d’une ascension qui tourne mal, l’évidence semblait de mise. "C’est une chose (la descente aux enfers) que je trouve intéressante et qui m’a toujours attiré, et que l’on retrouve chez des gens comme Jordan Belfort, Jake La Motta ou Tommy, le personnage de Joe Pesci dans Les Affranchis", confie le réalisateur. Les ressemblances ne s’arrêtent pas là, puisqu’en dehors des similitudes troublantes entre le portrait de Belfort et celui des personnages de ses plus grands films, Scorsese revient, de fait, au cinéma qui l’a consacré. «J’ai toujours voulu être un trader.» nous explique rapidement cet originaire du Queens, fils de comptables juifs. Le clin d’œil est parfait : Le Loup de Wall Street, c’est l’enfant légitime de Casino et des Affranchis.

Un retour en forme qui s’explique par un scénario aux petits oignons signé du scénariste des Soprano, Terrence Winter. Le monde de la finance est un analogue manifeste de celui de la mafia. L’évolution du personnage joué par Leonardo DiCaprio possède une fureur comparable à celle vécue par Ray Liotta dans Les Affranchis. L’excès reconnu à l’époque des raids boursiers, en atteste le délire de certains salaires, façonne le film de Scorsese à la manière d’une immense farce longue de trois heures. Le parti pris du cinéaste ? Ne jamais juger ses personnages. En lieu et place : une satire grotesque, jouissive et permissive sur les affres du pouvoir financier. Un angle à risque, mal compris par les critiques américaines voyant, dans cette gigantesque orgie amorale, une fascination malsaine pour son héros aux mœurs déjantées. Son incarnation à l’écran, Leonardo DiCaprio, s’est empressée d’éteindre le feu naissant : «Le film pourrait ne pas être compris par certains. J’espère que le public comprend que nous ne tolérons pas ce comportement, que nous le condamnons. Le livre était une mise en garde et si vous restez jusqu’à la fin du film, vous comprendrez ce que nous affirmons à propos de ces gens et de ce monde, car ce dernier est toxique.»

Injustes ces critiques US. Le Loup de Wall Street est une parabole évidente de la bataille du mal par le mal. Comment, au mieux, épouser les contours d’un protagoniste névrosé et modelé par le monde qui l’entoure ? En décrivant toute son aberration. Résultat ? Une succession de scènes cultes au cœur d’une ambiance shootée à l’adrénaline. Des fêtes orgiaques, de la vulgarité record (522 «fuck» en 3h!), du sexe outrancier, de la drogue à foison, cet égo-trip profane est une débauche explosive dominée par l’improvisation (le chant martelé à la poitrine est une pure invention de McConaughey), l’intelligence de l’écriture, la science du dialogue et la performance hallucinée d’un DiCaprio hors de lui. À lui seul, l’acteur Américain magnétise l’attention : il est de tous les plans. Notamment cette scène, où, sous l’emprise d’un puissant sédatif, il tente, en rampant, de rejoindre sa Ferrari. Une omniprésence qui vire parfois à l’exclusion. Leo paraît bien seul à s’éclater. Où sont les Joe Pesci, les Sharon Stone (Margot Robbie fait pâle figure), les De Niro ? Les seconds rôles, tous bons, manquent néanmoins singulièrement d’ampleurs et empêchent le film de basculer dans la grandeur.

À défaut du chef d’œuvre, Le Loup de Wall Street est probablement le meilleur film de Scorsese depuis presque 20 ans. On retrouve les raisons qui font qu’on adore sa filmographie, notamment sa capacité à saisir les aliénations américaines pour en faire des fresques ambitieuses, démentes et surprenantes autour d’identités aussi cultes qu’effrayantes. C’est toute l’histoire de son cinéma. En voyant Belfort sortir de prison et poursuivre, malgré ses condamnations, tout l’exercice de sa perversité, on donne encore de belles heures à Scorsese pour trouver matière à moquer les travers de l’Amérique actuelle. Welcome back Martin.
Nicolas_Chausso
9
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le 15 janv. 2014

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