C’est dingue comment ce film me fout mal à l’aise.
« Pourquoi », me demanderiez-vous ?
Pour plein de raisons en fait.
Je ne sais même pas par où commencer.


Qu’il y a-t-il de pire dans tout ça ? Dites-moi.
Que Michel Gondry ait fini, lui aussi, par rejoindre ce triste club des auteurs ayant choisi comme sujet de leur dernière œuvre rien d’autre qu’eux-mêmes ?
Qu’on se coltine un énième film auscultant des traumas dont il faudrait – une nouvelle fois – s’émouvoir ?
Que le personnage principal ait suscité chez moi le plus profond des mépris alors que ce n’était manifestement pas l’intention ?
…A moins que ça ne vienne tout simplement de cette forme triste que je peine franchement à associer au nom de Michel Gondry ?


Non mais merde quoi…
Rien que d’énoncer tout ça, j’en soupire.


Ce qui est terrible dans tout ça, c’est que je me suis tellement senti déphasé avec ce film que jamais vraiment je n’étais certain de saisir l’intention de l’auteur.
Ce personnage de Marc pour commencer – ce gros nombril qui occupe l’écran durant les presque deux heures de projection – est-ce que je suis seulement censé ressentir à un moment donné un minimum d’empathie à son égard ?
Parce que, d’accord, on voit bien que Gondry n’entend pas l’épargner. Il a des attitudes ignobles. Il traite tout le monde comme de la merde. Il part dans tous les sens sans jamais vouloir rendre de compte ou rien expliquer à personne…
…Oui, mais sauf que… Bah il est malade tu comprends. Il est sous traitement. Il ne sait pas vraiment ce qu’il fait. Et puis ça reste un génie, hein. A la fin son film est génial. Il sauve même des vies au passage ! (Excusez du peu…) Il rend une femme heureuse d’amour pour lui. D’ailleurs tout le monde semble lui passer tous ses excès juste par amour pour lui (alors que bon…)
Et si le film semble vouloir nous inviter à peser le pour et le contre entre les apports du génie et la souffrance qu’il peut susciter autour de lui, il n’en reste pas moins qu’au final, il faudrait le plaindre – presque l’admirer – ce pauvre Marc, parce que toute cette souffrance serait au fond avant tout la sienne.
(Bah voyons…)


Tout ça pue quand même beaucoup l’autojustification de la connardise des artistes.
Non, un génie n’est pas nécessairement un connard. Et par ailleurs, un esprit désaxé n’est pas forcément un esprit génial non plus, soit dit en passant. Or, en regardant ce film, j’ai quand même l’impression qu’on nous susurre un peu ça dans le creux de l’oreille, quitte à devoir passer par de sacrés tours de passe-passe un brin balourds.
J’en veux pour exemple cette scène de la composition de la bande originale du film. J’ai beau ne rien y connaitre en musique, je doute malgré tout sérieusement qu’on puisse produire de tels morceaux aussi travaillés et cohérents en utilisant cette méthode…
…Mais bon, seulement voilà, comme Marc est un génie, eh bah là ça marche.
Ça marche comme quand Marc reprend un grand compositeur sur son travail, quand bien même le jeune réalisateur ne touche-t-il pas une bille en musique.
Et surtout ça marche également comme quand, au final…


…son film sort enfin et que la foule l’acclame.


Alors oui, c’est vrai, beaucoup de choses peuvent être ouvertes à interprétation.


N’oublions pas qu’entre le moment où le film est diffusé devant tout le village somnolent de Villemagne et l’avant-première, on ne voit pas Marc bosser une seule seconde sur son œuvre. Tout le travail de transformation aura été l’œuvre de Charlotte et de Carlos, lesquels auront donc agi seuls dans leur coin. De quoi voir là une reconnaissance par Gondry de l’apport des petites mains.


Et si je suis prêt à reconnaitre qu’il existe bien dans ce film de multiples éléments qui rappellent bien l’importance de chaque maillon au sein du processus de création artistique, il n’empêche malgré tout qu’au bout du compte, on ne m’ôtera pas de l’esprit que ce que ce Livre des solutions valide malgré tout, c’est cette vision très française de toute entreprise collective – notamment artistique – selon laquelle tout doit être régenté par la vision d’un seul, quand tous les autres se doivent de se plier en quatre – quitte à en souffrir – au diktat de l’artiste pour donner corps et cohérence à cette vision.
L’autre n’est pas là pour alimenter la vision. Il n’est là que pour la comprendre et la concrétiser. Point.
Dit autrement, subir les caprices et la connardise de l’auteur reste au fond le prix à payer pour vraiment espérer produire de l’art…
…Très français comme vision, vous disais-je.


Cette vision, moi, elle m’insupporte.
Elle m’insupporte d’autant plus que, dans le cas de Gondry comme dans celui de nombreux autres cas d’égocréateurs avant lui, son cinéma ne s’est jamais montré aussi paresseux que lorsqu’il s’est montré animé par cette toute-puissance tant vantée.
Car cinématographiquement parlant, qu’offre vraiment ce Livre des solutions ?
Certes la forme n’est pas hideuse, mais elle est sans génie. Rien ne m’a sauté aux yeux. Rien ne m’a séduit. Rien ne m’a conduit.
Symbole d’ailleurs d’une certaine démission, le film est très bavard et s’avilit même au poncif de la voix off.
Les situations ont beau essayer de se renouveler en permanence qu’on finit néanmoins, au bout du compte, à toujours retomber sur les mêmes situations, avec les mêmes aboutissements.


A bien tout considérer, ce qui anime vraiment ce film, ce sont les cabotinages de Marc et rien d’autre.
Tantôt rêveur, tantôt farceur, tantôt manchot, tantôt odieux. Il n’en reste pas moins que Marc reste, la plupart du temps, totalement imbuvable, faisant toujours passer sa vision, ses préoccupations et surtout sa temporalité sur celles de tous les autres…
…Des cabotinages que la réalisation de Gondry peine d’ailleurs à transformer en des moments de cinéma tant tout est téléphoné ou à contretemps.
Etonnamment, la seule chose de positive que je retire de ce film c’est ce fameux malaise ; ce malaise généré par le fait de ne pas être totalement certain de ce que l’auteur exprime sciemment ou inconsciemment à travers ce film étrangement bancal et malsain, aussi bien dans la forme que dans le fond.
Et aussi inconfortable cette sensation puisse-t-elle être,qu’elle n’en reste pas moins une sensation de cinéma qui a su malmener quelque chose de viscéral en moi. Je ne peux m’empêcher de considérer cet inconfort comme un gain, quand bien même celui-ci a-t-il été sûrement généré au dépend des intentions de l’auteur.


Au fond, ce Livre des solutions serait presque une démonstration par l’absurde de ce que le film tend pourtant à démontrer.
Plus l’artiste se focalise sur lui et se ferme sur l’extérieur, et plus il perd en clairvoyance, en pertinence, et surtout en amplitude.
…Car au fond, qui peut être touché par ce Livre des solutions ?
Moins de personnes, je pense, que face à Eternal Sunshine of the Spotless Mind ou Be Kind, Rewind.
Parce que, l’air de rien, on ne parle pas là vraiment d’amour, de créativité ou de partage. Non, là on parle surtout de mégalomanie et d’égocentrisme, purs et durs.
Quelles sont les leçons du Livre des solutions ?



  1. Faire ce que l’on veut.

  2. Faire par soi-même pour savoir quoi faire (quand bien même cela implique de le faire faire par les autres la plupart du temps).

  3. N’écouter personne.

  4. Enfin, à la toute fin du processus – mais à la toute fin seulement – écouter les autres.


Si ces maximes sont à prendre au pied de la lettre, c’est quand même une bien étrange leçon retenue-là par le personnage de Marc.
Après tout ce qu’il aura fait traverser à son entourage, tout ce qu’il aura retenu de son aventure artistique c’est que, en fin de processus, ce n’est finalement pas si mal que ça d’écouter ce que les autres ont à nous dire sur ce qu’on fait. Rien de plus.
Le respect de l’autre, sa considération, l’ouverture à son entourage et l’épanouissement par le collectif sont autant de solutions qui n’ont manifestement pas eu leur place dans le fameux Livre de développement personnel de Gondry.
Dommage car en plus d’alimenter l’artiste, l’ouverture à l’autre a aussi pour vertu de rendre l’humain plus humain. Mais c’est vraisemblablement là une terra incognita pour l’auteur d’un film qui préfère en conclusion – tel un symbole – nous laisser contempler …


…un trou dans lequel le héros s’est terré – révélateur de son remarquable bien-être – et ses collaborateurs tirant la gueule autour de lui.


Déprime, malaise et (auto-)maltraitance pour tous : elles sont belles les solutions de l’ami Gondry aux problèmes de la vie !


Mais bon, malgré tout ça, j’aurais presque envie de dire « merci pour la leçon ».
Après Almodovar, Spielberg et Aster, Gondry est venu valider l’équation.
Celle qui démontre que, malgré son talent, il n’y a jamais rien de bon,
A vouloir mener sa vie et faire du cinéma en se reluquant tout le temps l’oignon.


Livre des solutions par l’homme-grenouille.
Chapitre unique.
A bon entendeur.
Ne me remerciez pas. ;-)

Créée

le 19 sept. 2023

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