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Sorti quinze ans trop tard, à l’heure où le grand public ne s’intéressait désormais plus guère qu’à la science-fiction et à l’action « pure et dure » (je dis cela sans jugement aucun, leur étant moi-même partial), Le Lion du Désert fait partie de ces films véritablement épiques, méritant bien mieux que l’oubli dans lequel il est tombé.


Il s’agit d’un biopic consacré à un personnalité elle-même peu familière aux spectateurs francophones d’hier et d’aujourd’hui : Omar Moukhtar, leader de la résistance libyenne à l’occupant italien au début du XXe siècle. Petit rappel des faits, sur lequel s’ouvre également le film : jeune nation fraichement constituée et unifiée, le Royaume d’Italie ne tarde pas à chercher à se constituer un empire colonial à la hauteur de ses voisins européens, et surtout, digne de la Rome antique dont elle se réclame l’héritière. Située à quelques encablures sur l’autre rive de la Méditerranée, le « Mare nostrum », la Libye constitue une cible de choix. Désireuse de rattraper son retard, l’Italie ne fait pas dans la dentelle et s’ensuit une guerre de colonisation féroce, émaillée d’atrocités de parts et d’autres.


Comme souvent dans ce genre de situation, c’est du petit peuple que surgit une figure inattendue pour mener la rébellion face à l’envahisseur : en l’occurrence, un simple maître coranique issu d’un petit village de Cyrénaïque, déjà âgé d’une cinquantaine d’années au moment de l’incursion italienne. Habile et versé dans les tactiques de la guerre du désert, « Sidi Omar » va se révéler un adversaire de taille pour le Regio Esercito. Une fois parvenu au pouvoir, le Duce Benito Mussolini, excédé, dépêche son général le plus brutal, Rodolfo Graziani, pour venir à bout du fameux « Lion du Désert ».


C’est au duel entre les deux hommes que se consacre, habilement, le réalisateur américano-syrien Mustapha Akkad. Pour ce faire, il assemble une distribution aux petits oignons, portée par Anthony Quinn et Oliver Reed. Le premier, une des dernières vraies « gueules » d’Hollywood, venait de jouer pour Akkad dans Le Message, consacré au Prophète Mahomet, et campe un Sidi Omar tout en sagesse, vieux lion inébranlable à barbe blanche ; le second, éternel compagnon de beuverie de Richard Burton et Richard Harris, prête son visage carré et sa froide intensité au conquérant italien, aussi implacable que Mukhtar est placide et confiant en la destinée que lui a réservé Allah le Miséricordieux. L’un comme l’autre font merveille.


Le reste de l’ensemble constitué par Akkad est un abécédaire de grands acteurs internationaux de l’époque : Irene Papas, fréquente partenaire de Quinn à l’écran, interprète une mère-courage libyenne, Raf Vallone prête son allure de vieux chêne à un officier italien humaniste, le shakespearien John Gielgud fait une apparition en diplomate retors, Gastone Moschin cabotine autant en Chemise Noire qu’en truand sicilien dans Le Parrain II, et ainsi de suite. Et comment ne pas mentionner le toujours parfait Rod Steiger qui, dix ans après Napoléon dans le Waterloo de Bondartchouk, rend toute sa grandiloquence à Mussolini lui-même ?


Tout le budget n’a cependant pas été consacré à ce casting trois étoiles : en termes de moyens de production, Le Lion du Désert n’a pas à rougir face à ses glorieux aînés des années 60. Tourné avec la bénédiction du colonel Kadhafi, le film est une véritable carte postale de la Libye, aussi bien ses déserts de dunes que ses montagnes verdoyantes. Certains plans de batailles sont véritablement à couper le souffle, avec des centaines et des centaines de figurants en armes et costumes, rassemblés autour d’une impressionnante collection de tanks et de véhicules d’époques, sans parler des chevaux. À noter également l’incrustation d’images d’archives, notamment en guise d’ouverture et pour présenter les effroyables camps de concentration établis par les Italiens pour mater la rébellion.


À ce sujet, il convient de mentionner que le film fut d’ailleurs initialement censuré en Italie, à la demande du gouvernement conservateur de Giulio Andreotti, car présentant l’armée italienne, c’est peu de le dire, sous un jour défavorable. Il faudra attendre 2009, et la visite officielle d’un certain colonel susmentionné, pour qu’il soit enfin diffusé à la télévision transalpine…


Parfois un peu didactique, ce qui est certes salutaire sur un sujet aussi méconnu, Le Lion du Désert pêche cependant surtout par son côté hagiographique revendiqué. Ce n’est pas un mal en soi car nul ne saurait contester la légitimité du combat de Moukhtar, ni l’humanité du personnage pour autant que l’on puisse en juger, mais cela signifie aussi que le film n’a pas la complexité morale d’un Lawrence d’Arabie auquel il est difficile de ne pas le comparer tant s’accumulent les similitudes (le cadre désertique, Anthony Quinn en bédouin, Maurice Jarre à la bande-son…). Très bien jouées, les scènes de dialogues entre Quinn, Reed et Vallone n’ont pas un dixième de la profondeur de celles entre O’Toole, Sharif, Guinness ou Ferrer dans le film de David Lean.


Il n’empêche : projet passion d’un réalisateur disparu tragiquement et désireux de partager l’amour de sa culture, Le Lion du Désert n’en reste pas moins l’un des derniers exemples d’un cinéma d’autant plus épique qu’il se basait sur des destins réels et non sur une œuvre de fiction. Comme souvent quand je me plonge dans mes classiques comme son contemporain Les Portes du Paradis ou ses ancêtres Le Guépard et Docteur Jivago, je ne peux que soupirer de nostalgie et souhaiter son retour, un jour… Inch’Allah.

Szalinowski
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le 10 févr. 2022

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