Ah ça c’est sûr que c’est un vrai piège à cinéphiles amoureux de la belle forme ce dernier film de Diao Yinan !
Et un peu comme un moustique bien naïf, j’y suis allé, me laissant attirer par toute cette myriade de jolies couleurs électriques, même si au fond je savais que je risquais de m’y brûler les ailes…


Parce qu’en effet, même si je sais que nombreux seront celles et ceux qui y trouveront leur compte, moi je n’oublie pas le souvenir que j’ai conservé de « Black Coal », le précédent film du même Diao Yinan.
Un souvenir de quelques jolies touches visuelles certes, mais un souvenir surtout constitué de beaucoup de vide…
Mais vraiment de beaucoup de vide…


Pourtant, le premier contact avec ce « lac aux oies sauvages » fut encourageant.
Plus que ça : il fut même totalement enivrant me concernant.
Ah ! Mais cette introduction ! Mais quel savoir faire !
Au-delà de toute considération esthétique, il y a dans ces premiers plans un remarquable savoir-faire narratif par l’image.


On pose un lieu et une atmosphère par un seul plan. Puis vient un personnage.
Gros plan sur sa montre : l’occasion de montrer à la fois l’heure – presque minuit – tout en suggérant l’idée que ce personnage attend un rendez-vous. Sur sa main : un tatouage qui laisse supposer l’appartenance à un gang.
Plan sur son visage. Il a l’œil observateur et méfiant. Il est bien en train d’attendre quelqu’un. Il tourne la tête à droite et à gauche. On observe une balafre encore vive et on comprend alors que ce malfrat ressort certainement d’une sale affaire.
Surgit soudain une silhouette féminine. On insiste sur son sac. Du sac sort une cigarette. Et en suivant la cigarette on découvre un visage. Une femme qui se met à fumer nerveusement. C’est bon – on a compris – elle est dans le coup.

L’homme demande du feu. Méfiant. On comprend qu’il s’attendait à voir quelqu’un mais pas forcément cette femme là.
Il demande où est sa femme. Elle lui répond qu’elle peut jouer son rôle s’il le veut.


Bim ! En quelques plans me voilà ferré comme un pauvre merlan.
J’ai été pris et je ne me débats même pas. Je suis presque content qu’on tire sur la ligne tellement je suis sous le charme.


Alors certes, je me doute que pour certains ç’en serait presque trop, cette introduction.
C’est vrai que, sur ce coup le Diao Yinan est carrément en parade ; en démonstration totale. Mais bon, c’est tellement limpide que moi je succombe.
Un vrai merlan vous disais-je…
Ou plutôt non… Plutôt un moustique bien naïf comme je vous disais plus tôt…


Parce que bon, si le premier quart d’heure fait un peu illusion en termes de promesse d’intrigue et de propos, très rapidement le film va prendre le chemin de l’enlisement.
Tout un symbole : c’est dès qu’on commence à nous parler de ce fameux lac aux oies sauvages que, tout doucement, les fougueuses motos du début commencent à patiner dans la gadoue qui entoure tout ce plan d’eau vaseux.


Alors OK, ça continue à être beau, soigné, travaillé… Mais les minutes passent et le fantôme de « Black Coal » refait surface.
Certes, en termes de richesse formelle, ce « Lac aux oies sauvages » dépasse de loin son ainé. Si bien que si on veut juste se laisser bercer par les belles séquences joliment filmées pour ne pas sombrer dans le plus morne des ennuis, on peut aisément le faire.


Moi ne serait-ce que pour ces images d’animaux de zoo qui se retrouvent spectateurs étonnés et étonnants d’une course-poursuite entre humains, ou bien encore pour ces danses robotiques sur fond de vieux Dschinghis Khan (si si), je ne regrette absolument pas mon déplacement.


Mais à force d’accumulation de ce type de scènes n’existant que pour leur pouvoir esthétique, la vacuité de toute cette démonstration finit par ne plus pouvoir se cacher bien longtemps. Personnellement, je me suis surpris à regarder ma montre une première fois, puis une seconde fois, puis une vingtième fois. Plus d’une heure d’écoulée et l’intrigue n’avait toujours pas bougé depuis qu’on s’était rapproché de ce foutu lac.
Toujours cette chasse à l’homme. Toujours les mêmes enjeux.
On court. On tape. On tue de manière esthétisée. Et puis on s’arrête. On mange des pâtes. On se fait turlutter sur une petite barque au milieu des vagues flasques, et puis on repart. On recourt. On retape. Et on retue de manière esthétisée…
Toujours la même boucle jusqu’à… Bah jusqu’à ce que le réalisateur en ait marre en fait.


Ce film, il aurait pu s’arrêter une heure plus tôt comme une heure plus tard.
Si Diao Yinan avait eu quelques idées de plans ou de scènes supplémentaires, on aurait très bien pu s’étaler comme ça pendant plus de trois heures.
D’ailleurs la fin tombe un peu comme ça, comme un cheveu sur la soupe.
Comme un moustique qui s’écrase bêtement sur la grille électrifiée alors que ça faisait déjà une bonne heure qu’il savait qu’il avançait vers le néon sans raison…
Et le générique de fin tombe, laissant ce constat : au-delà des pirouettes formalistes, Diao Yinan n’a rien trouvé à dire. N’a rien trouvé à raconter.


Alors après, il y en aura toujours quelques-uns qui vous trouveront au travers de cette longue chasse à l’homme un portrait fin de la Chine d’aujourd’hui, avec ses travers, ses inégalités, son Etat policier en perpétuelle conquête…
Mouais… Perso moi je ne suis pas si convaincu que ça. Après tout, par définition, un film qui se passe en Chine et qui se veut un minimum contemplatif sera toujours un portrait de la Chine. Celui-ci autant qu’un autre…
Maintenant, je serais vous, je ne me laisserais pas guider par ce genre d’arguments là pour savoir si vous comptez vous rapprocher de ce lac pour barboter ou pas.


Moi, personnellement, je pense plutôt que le plus honnête à dire au sujet de ce film, c’est que c’est surtout un trip d’esthète. Et que si les belles démonstrations plastiques vous branchent alors vous n’avez pas forcément besoin d’en savoir plus.
Parce qu’au fond, ce « Lac aux oies sauvages » n’est pas forcément plus, justement.
Il n’est même d’ailleurs – de mon point de vue – que ça.
Alors tant mieux pour les merlans.
Et tant pis pour les moustiques…

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le 4 janv. 2020

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