Le Jour de la bête par toma Uberwenig
Je m'attendais à un film d'horreur à l'humour gras indigeste. Et je me suis trompé. Et pas qu'un peu.
Un prêtre a réussi à décrypter l'Apocalypse de Saint Jean de Patmos après des années d'études (bon, la conclusion de kabbaliste à la petite semaine à laquelle il aboutit est un peu "limite", mais au moins, il y a un semblant d'explication un minimum référencée, et largement aussi valide, profonde et inspirée que trois DaVinci Code luttant de concert) (et surtout, la rigueur n'est pas le propos ici, donc passons). Ses conclusions sont formelles : la fin du monde, la naissance de l'antéchrist, c'est pour bientôt, le lendemain de Noël, précisément, à Madrid
Pour empêcher le cataclysme, notre bon prêtre va s'investir corps et âme dans sa mission sacrée : contacter le Diable en personne. Mais pour ce faire, il doit s'adonner au mal, car on ne surnomme pas la bête le Malin pour rien!
C'est sur ce postulat étrange que se bâtit un film troublant, oscillant entre la comédie à l'italienne, le prêtre évoquant une version sobre et bien moins tête à claques de Roberto Benigni (ou plutôt Alberto Sordi dans le Temoin de Mocky) de par sa candeur qui n'entache en rien sa détermination sans faille, le thriller horrifique plus classique, et le road movie poussé ad absurdum à la façon d'un Stevenin, une quête potentiellement vouée à l'échec, une fuite en avant sans point de chute, un jeu de piste aux cartes tronquées, dans un décor sombre et délabré, une ambiance urbaine violente, entre les débordements d'un groupuscule fasciste qui veut nettoyer Madrid en brûlant les sans abris et l'omniprésence oppressante de la police, au comportement tenant plus de la milice fasciste que des gardiens de la paix.
Bref, il ne fait pas bon sortir le soir, et on sent bien le positionnement critique du réalisateur, même s'il n'en fait pas un thème central ici.
Saisissant du début à la fin, posant avec efficacité l'histoire, son humour noir, son orientation tant esthétique que narrative dès la scène pré-générique, rythmé avec justesse, composé avec maestria, sans jamais verser dans un excès ou l'autre (je craignais personnellement que le sens du grotesque qui marque le cinéma du réalisateur au fer rouge ne s'impose de lui même, mais fort heureusement il n'en est rien), le film délimite son propre territoire, pose ses propres règles, brut de décoffrage et fin à la fois, avec une originalité surprenante pour une histoire tournant autour d'un thème aussi galvaudé.
Outre son histoire, si ce film m'a évoqué Stevenin, mais aussi Mocky ou Blier, c'est aussi par la façon dont se tissent les liens entre les personnages, des liens profonds, voire émouvants.
C'est peut-être la force majeure de ce film, la caractérisation des personnages, leur coté entier, leur humanité décalée, même lorsqu'ils versent dans la caricature (la mère du métalleux par exemple), ils ont cette épaisseur qui les différencie les personnages fonctionnels et unidimensionnels issus d'esprits vides et hantant des récits creux (Twilight me vient immédiatement à l'esprit, je ne sais pas pourquoi, mais on peut aussi mettre la quasi totalité des personnages de slasher movies des 20 dernières années, entre nombreux autres), une forme de chaleur particulière qui les rends d'autant plus réels, faute d'être réalistes.
Un film qui surprend de par sa justesse et sa finesse, ses personnages attachants et hauts en couleurs, bref, un excellent film qui reste populaire, accessible, malgré son étrange singularité.