Voici un film qui me pose un petit problème.

On connait la fameuse citation de Gabin qui définit les trois conditions pour faire un bon film : d'abord une bonne histoire, puis une bonne histoire, et enfin une bonne histoire …

"Le Havre", en principe, répond aux trois conditions. Ville portuaire avec ses trafics et ses transits de migrants clandestins. Un jeune africain s'échappe d'un container et est activement recherché par la police. Aussitôt et naturellement, une chaine de solidarité de gens humbles se met en place pour aider le jeune à repartir vers sa destination finale, Londres…

Et pourtant le film prend ou ne prend pas suivant les personnes. Personnellement, il me laisse plutôt sceptique.

De Kaurismäki, j'avais vu la trilogie finlandaise (Juha, l'homme sans passé et les lumières du faubourg) qui ne m'avait guère convaincu. Certes, les histoires racontées dans ces films ne manquent pas d'intérêt mais c'est la façon de les présenter qui me parait toujours assez particulière chez lui.

"Le Havre" est constitué de multiples scènes en général en plan fixe, qui se succèdent et s'interrompent brutalement. À la manière du peintre qui peint un dialogue, une scène muette. Lorsque le travail est fini ou que l'image s'est imprégnée dans l'imaginaire du spectateur, on arrête et on passe à la suite. Sans transition.

Au fond, on comprend bien la volonté ou l'objectif du cinéaste. Il nous dépeint des gens qui sont en bas de l'échelle sociale mais il ne veut pas jouer au film tire-larmes pour autant. Il crée donc une espèce de distanciation dont le but est de restaurer la dignité des individus. De même, le cinéaste définit un décalage entre deux sociétés qui se côtoient sans jamais se rejoindre, ni se comprendre : celle des gens pauvres mais dignes et capables de solidarité et la société civile égoïste avec ses lois répressives anti-immigratoires.

Par exemple, le personnage principal, Marcel Marx, ancien écrivain dans la dèche, est devenu cireur de chaussures à la gare du Havre. Mais il parle avec un langage courtois et châtié. Son jeune collègue, Chang, cireur de chaussures, immigré qui a obtenu sa régularisation, n'a pas adopté pour autant un langage de voyou. Et il en est de même du jeune africain en fuite.

Ce n'est pas parce qu'on est dans la misère qu'on doit vivre et parler comme un voyou. L'intention est louable. Mais à trop tirer sur la ficelle, on risque de ne plus être crédible.

Cette distanciation volontaire entre le héros et le spectateur est accentuée par une diction des acteurs parfois un peu théâtrale et par les accents des actrices finlandaises qui parlent en français.

Un peu le style de la Nouvelle Vague par exemple, qu'on trouve chez certains films de Truffaut. D'ailleurs, je pense que ce n'est pas un hasard si Kaurismäki invite Jean-Pierre Léaud au casting dans un petit rôle qui tient du cameo …

Spoiler : on se doute qu'il y a un happy end … Et même un double happy end entre l'africain qui réussit à partir pour Londres et la femme de Marcel miraculeusement guérie. C'est bien, je ne vais pas me plaindre mais ça arrive abruptement et finalement ça me gâche presque mon plaisir …

Parlons du casting que j'ai déjà un peu effleuré :

C'est André Wilms qui joue le rôle de Marcel. Darroussin joue le rôle du commissaire de police qui est partagé entre son devoir qui est de traquer le jeune africain et son cœur qui est de fermer les yeux.

Ah et puis, il y a Little Bob dont j'ai découvert l'existence en arrivant en Seine Maritime. Il faut dire que c'est une vraie célébrité locale dont tout le monde parle avec le sourire et la larme à l'œil. C'est un rocker, un vrai qui est resté dans le style rock & roll des années 70 et qui effectue encore des concerts … On le voit ici dans un morceau endiablé où c'est encore une contrebasse qui officie. Vous en connaissez beaucoup des groupes de rock avec une contrebasse ? Là, sa prestation est une vraie plus-value dans le film qui devrait m'aider à gonfler la note d'un ou deux points…

Bon, pour tenter de conclure sur le problème que me pose ce film, je dirais que j'aime l'histoire mais ne suis pas du tout convaincu par la mise en scène plutôt froide qui ne dégage guère d'empathie. Il faut certainement voir le film comme une fable ou un conte mais même dans ces conditions, il me semble nécessaire de pouvoir y croire un minimum.

JeanG55
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le 7 juin 2023

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JeanG55

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