Agnès Jaoui s'est imposée au fil des 90's comme une scénariste phare, travaillant pour Alain Resnais ou Cédric Klapisch. Des projets chapeautés avec son compagnon de l'époque Jean-Pierre Bacri et qui leur ont permis d'obtenir trois Césars du meilleur scénario (plus un César du meilleur second-rôle chacun pour On connaît la chanson).
De fil en aiguille, Jaoui commence à travailler sur un premier film en tant que réalisatrice. Bacri et elle se lancent d'abord dans un projet de film policier qui ne mène à rien et dont ils ne gardent qu'un chauffeur, un garde du corps et une dealeuse. Des rôles qui seront incarnés par Alain Chabat, Gérard Lanvin et Jaoui elle-même dans Le goût des autres. Un premier film qui a récolté 3,8 millions d'entrées, 4 Césars et a même été candidat à l'Oscar du meilleur film étranger (gagné par Tigre et dragon d'Ang Lee).
Souvent classé dans les comédies, Le goût des autres ne l'est pas tellement ou alors par petites touches. En fait il se rapproche plus du drame choral avec un lot de personnages ayant des liens entre eux (famille, employés, amis, amants) et avec pour thème le titre du film. Car chacun a ses propres goûts, certains différents d'autres personnes sur un même sujet et parfois au sein même d'un couple ou d'une même famille.
On le voit rapidement lorsque le personnage de Jean-Pierre Bacri aime une pièce mais pas sa femme (Christiane Millet), ou que cette dernière entre en conflit avec sa belle-soeur (Brigitte Catillon) à propos d'un simple papier-peint. Cela marche également avec les idéaux, à l'image du passage où Christiane Millet et Alain Chabat parlent du monde, avec une réponse cinglante de ce dernier ("Ben faut vivre à Disneyland alors...").
Le film confronte également des êtres potentiellement opposés avec Bacri caractérisé comme quelqu'un de beauf et Anne Alvaro une comédienne qui paraît plus sophistiquée, rassemblés à travers un même élément (le théâtre). Idem pour Lanvin et Jaoui (il est ancien flic et elle dealeuse). L'ironie veut que du côté des premiers le fossé culturel devient de moins en moins grand au fil de leurs rencontres, là où les seconds vont s'éloigner au fur et à mesure suite à leurs divergences.
Le spectateur regarde tous ces chocs des cultures et parvient à voir l'évolution des personnages et notamment celle de leur goût. A l'image de Bacri qui va découvrir ce qui lui plaît, quitte à piquer une crise auprès de sa femme car elle n'accepte pas de mettre une peinture qu'il aime dans la maison. Ou alors ce moment où il dézingue Alvaro en lui disant qu'il est capable d'aimer un artiste et pas forcément parce qu'elle le lui a présenté.
Le goût des autres est donc un film intéressant dans ses thématiques et sa manière de les aborder. Jaoui montre les points de vue de chacun de ses personnages, mais ne pose pas de jugement. Le spectateur pourra en avoir un, mais la réalisatrice ne lui impose rien, d'autant que certains personnages sont particulièrement attachants.
Monsieur Castella est un véritable phénomène et même s'il accumule les conneries (le passage sur les gays est incroyable), il garde un côté sympathique et l'interprétation de Bacri en mode Droopy fonctionne du tonnerre. De même, le reste du casting assure que ce soit Lanvin en mec qui ne sait pas finir les choses ou Chabat qui apprend la flûte au départ par intérêt et finit par y trouver une passion. D'où un film passionnant, bien écrit et joué.