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En janvier 1901 atteint d'un cancer en phase terminale, Books, la dernière gâchette légendaire (John Wayne), retrouve à Carson City son vieil ami médecin (James Stewart), qui doit apaiser ses derniers jours. Il cherche la tranquillité dans une pension tenue par une veuve (Lauren Bacall) et son fils, (Ron Howard). Mais son arrivée est rapidement connue. Tous, y compris le croque mort (John Carradine) veulent tirer profit de son crépuscule, et n’ont pas même la pudeur de le lui cacher.
Telle la bête blessée qu’il est devenu, John Wayne considère ce monde avec dégoût sauf la veuve et son fils, se chamaillant sans cesse avec la première, et prodiguant des conseils à l’autre avec une bienveillance nonchalante, un peu usée par la fin à venir.
Son médecin l’avertissant de l’avilissement à venir incessamment du fait de la maladie, il choisit de partir comme il a toujours vécu, les armes à la main, et organise un dernier combat à venir le dimanche suivant son arrivée.
En 1964, on a diagnostiqué chez Wayne un cancer du poumon, c’est une rechute de celui-ci, métastase à l’estomac, qui l’emportera trois ans après le film, en 1979.
Le film est prémonitoire et clairement dédié à John Wayne qui est né en 1907 avec l’industrie du cinéma (vers 1905, 20 % de la population américaine (26 millions de personnes) se rendait chaque semaine au cinéma) et incarne à lui seul l'Amérique conquérante. Il souligne la fin d’une ère : celle des héros de l’Ouest sur le chemin de la civilisation et celle de ces héros virils, durs, solitaires, machiste et sans reproche que Wayne s’était fait une joie d’interpréter. C’est le troisième film en 10 ans où il joue un géant (l’ombre d’un géant, les géants de l’ouest), il est d’ailleurs très grand (1,93m). C’est une épitaphe à l’homme mais avant tout celle d’une époque qui se sait révolue et jette ses derniers feux, un dernier adieu.
La concentration autour de lui d’acteurs illustres, mais également en fin de carrière, n’est pas anodine. Beaucoup plus de finesse qu’il n’y parait dans la distribution des rôles : Lauren Bacall est trop âgée dans les considérations de l’époque, pour jouer les femmes fatales, mais incarne parfaitement cette veuve qui sort peu, recluse dans son deuil, et craint que l’on jase qu’elle se promène avec son locataire ; John Carradine et James Stewart, sont assez symboliques eux aussi : l’un est médecin l’autre croquemort, la vie et la mort, ils ont commencé leur carrière très prolifique au début des années 30 et sont également des géants (John Carradine totalise 351 apparitions cinématographiques, en revendique 450, et James Stewart ne tournera ensuite que 4 autres films), ce sont des figures récurrentes des anciens westerns. Pour sa part, Ron Howard, jeune star de l’époque, a percé dans l’American Graffiti de Georges Lucas, joue depuis 3 ans dans Happy days, série qui cartonne, et reprend ici un adolescent un brin naïf et à peine roublard, en quête d’un père qu’il a peu connu, que l’on pourrait rapprocher de Mc Coy dans retour vers le futur, (qui lui a un père effacé) ; tous ces acteurs, y compris Wayne, ayant une étoile sur le Hollywood Walk of Fame.
C’est évidemment le constat de la fin d’un siècle, le déclin des valeurs, sur lesquelles on fixe maintenant un prix, le déclin de la force au nom de l’argent. Le siècle de la liberté que l’on éprouve au péril de sa vie, en choisissant le risque plutôt que le confort est terminé, comme le montre l’évolution du cadre de vie, telles l’eau courante, l’électricité et les premières automobiles et tramways. Dans le nouveau siècle, le lucre et l’avidité sont la norme exclusive, et plus la survie et l'entraide. L’ambiance qui parait un peu caricaturale est pourtant déjà évoquée dans le « burning daylight » de Jack London, écrit entre 1899 et 1910 et sera clairement reprise dans le jeu Red dead redemption 3.Je trouve que c’est également un film sur la dignité, terme utilisé à plusieurs reprises par John Wayne : « ma mort m’appartient », la finitude dans la dignité. Il a interprété ce rôle d'homme viril, tout au long
de sa carrière, mais ici respecte Lauren Bacall avec qui il ne cesse de se chamailler, son caractère, sa
dignité, refusant d’être pour elle un fardeau, qu’elle lui fait pourtant remarquer (sans autre commentaire, avec une tendresse implicite mais sobre, car elle aussi respecte sa dignité) qu’il est pourtant devenu malgré lui, et ne peut plus éviter d’être. Dignité qui se retrouve dans les rapports avec James Stewart, qui ne lui a pas caché la gravité de son état et l’a encouragé à mourir les armes à la main face à l’adversité, plutôt que dans une longue souffrance.
Il y a aussi un rapport père/fils sous-jacent avec Ron Howard, qui voit en lui une image tardive de père héroïque. Dès le départ, il est fasciné par sa légende, se méprend sur le sens de sa vie en n’en contemplant que la surface, et pourtant grandit à sa mort, non d’avoir tué le père, mais de l’avoir
défendu puis d’avoir renoncé à la force, comme il jette au loin le revolver dont il s’est emparé pour le défendre, ce rejet est d’ailleurs adoubé par un dernier regard du héros qui s’éteint sans mélodrame, dans la confusion d’un monde avide de nouveautés et insensible, qui spécule sur la valeur du cadavre des mythes passés.
C’est un western sobre et efficace, sans musique mélo, un peu en demi-teinte, en sourdine, comme
souffre le héros, sans affèteries. Il met en scène la corrida du « vieux pachyderme qu’on doit abattre »,
comme le dit un prisonnier que le Marshall libère pour cette occasion. C’est aussi la fin d’une manière de voir l’ouest qui 12 ans plus tôt était encore « une nouvelle frontière » dans l’esprit américain, les westerns de Sergio Leone sont passés par là, l’ancien style n’est plus à la mode, on est à la veille de l’élection de J. Carter, l’anti Nixon, le Hollande de l’époque par rapport au Sarkozy qui le précédait, les gouts et les temps ont changé, et le film tire la révérence d’un monde qui se dissipe comme les châteaux de sable quand la mer se retire.
Au fond la cruauté de l’Ouest demeure mais sa générosité s’efface devant le progrès, c’est un monde de moins en moins humain qui se dessine et l’on peut se demander si les règles de l’Ouest ne prédominent pas dans l’aventure hollywoodienne comme dans l’esprit du jeune Ron Howard avant qu’il ne prenne une arme : ce ne sont pas les faits qui comptent mais la légende, faisait déjà dire John FORD a James Stewart dans un autre film mythique de John Wayne où jouait également Carradine (l’homme qui tua Liberty Valance). L’ouest reste pavé d'une surface de rêves, mais il n’est pas le seul, hollywood les à répandus.
John Wayne, défenseur de l’American way of life, était connu pour ses opinions patriotiques, anticommunistes et conservatrices. Mais c’était aussi un franc maçon, c’est-à-dire un amoureux du
dépassement de soi vers l’autre. Dans Alamo, film qu’il a réalisé et produit, John Wayne, souhaitait montrer l'abnégation des hommes à défendre une cause qui leur semble juste, telle la république ou la liberté, il faisait dire à son personnage : « République. C'est un nom qui sonne bien, ca veut dire qu'on peut vivre libre, dire ce que l'on veut, aller et venir où l'on veut, boire et prendre une cuite si ça vous chante. Il y a des mots qui font de l'effet. République est un de ces mots, qui me donne des picotements dans les yeux, un serrement de gorge…Ces mots-là , quand on les prononce, ça vous réchauffe le cœur ».
Il est à craindre que cette forme de dépassement se soit racornie, et réduite au dépassement de soi
pour soi.
L’héritage du géant n’est pas évident mais subtil : Don Siegel passe le relais à Clint Eastwood (autre monstre du western mais plutôt nouvelle tendance) en tant que réalisateur en 79 au moment de la mort de John Wayne, lui donnant l'impulsion de passer derrière la caméra et apparaissant même comme acteur dans son premier film.
Ron Howard sera sur le point de passer derrière la caméra l’année suivante.
Réalisation : Don Siegel
John Wayne (VF : Raymond Loyer) : John Bernard 'J.B.' Books
Lauren Bacall (VF : Claire Guibert) : Bond (Fleur, en VF) Rogers
Ron Howard (VF : Pierre Jolivet) : Gillom Rogers
James Stewart (VF : François Chaumette) : Dr. E.W. Hostetler
Richard Boone (VF : Henri Poirier) : Mike Sweeney
Hugh O'Brian (VF : Jacques Thébault) : Jack Pulford
Bill McKinney : Jay Cobb Harry Morgan : Marshal de Carson City
John Carradine (VF : André Valmy) : Hezekiah Beckum

Prunzy
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le 1 avr. 2022

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