Frangement barré mais loin d’être une croute

Il y a d’emblée un parti pris esthétique qui verse dans le moche. Une palette chromatique qui va du verdâtre ou jaune pâlichon. A commencer par ce vert-bleu délavé de la voiture de Georges, un quadra à la barbe grisonnante et à la bedaine fatiguée. Et puis son blouson en velours, vert lui aussi mais tout aussi démodé, dont il se débarrasse. Oui, Georges en a marre du vert, il va passer au marron. Suivront bientôt les tapisseries fadasses de l'hôtel, la déco tirant sur le vert caca d’oie et des blousons en veux-tu en voilà tous aussi laids les uns que les autres. Les choix de mise en scène - cadrage, décors, lumière, musique (Joe Dassin) - opérés par Dupieux sont à l’image de son personnage principal : improbable.
Georges (Jean Dujardin) est un type en phase de rupture. Il vient de rompre avec sa femme et il rompt à présent avec un monde dans lequel il se trouve laid. On le voit passer une grande partie de son temps à observer son reflet : dans la vitre de sa voiture, dans le miroir des toilettes de la station, dans sa chambre d’hôtel. C’est donc en toute logique, lorsque son ex lui affirme lapidairement qu’il n’est plus rien, en écho à la chanson de Dassin qui ouvre le film, qu’il se met en accord avec cette vérité, bazardant son portable (objet symbolique du lien social moderne s’il en est) et décidant de s’offrir une nouvelle peau. En daim donc. Comme un désir de retour à la pureté (ou à la beauté) animale.
Cela va être tout le contraire. Le blouson va bientôt sembler animé d’une personnalité propre, teintée d'un autoritarisme viril, qui ne sera pas sans rappeler le pneu psychorigide de Rubber. De fait, le film adopte alors cette tonalité Dupieutesque si caractéristique, mélange de fantastique loufoque et d’humour barré. Un « style de (grand) malade » qu'il a d'ailleurs en commun avec le dessinateur Fab Caro, dont l’ennemi public à la carte de fidélité oubliée (Zaï Zaï Zaï Zaï) n’est pas très éloigné de Georges en matière de non-sens sur fond de critique sociale. Le Bernie de Dupontel n'est pas loin non plus.
Mais si l’histoire se focalise pour l’essentiel sur ce fameux vêtement 100 % daim qui donne son titre au film, il est un autre objet dont le rôle est tout aussi signifiant : le caméscope. C’est en fait beaucoup plus à cause de cet objet – sorte de cadeau du diable – que Georges bascule dans son délire, le blouson n'étant finalement qu'une projection mentale. D’abord parce que la caméra entretient son délire narcissique – il ne cesse de se filmer lui-même – mais également parce qu’elle lui confère une sorte de pouvoir magique : s’enrichir, séduire les femmes... En se contentant de filmer, et plutôt mal, des choses intéressantes au possible, il obtient au moindre effort reconnaissance et pouvoir. Transformer le plomb des images en or cinématographique, c'est l'alchimie dont participent les réalisateurs. De là à y voir un clin d’œil de Quentin Dupieux à son propre travail, il n’y a qu’un pas.


Quant à la fin, elle claque comme une évidence : ce daim était clairement trop petit.


Un film barré certes mais pas inintéressant.


Personnages/interprétation : 9/10 (avec une toujours excellente Adèle Haenel)
Scénario/histoire : 8/10
Réalisation/musique/photo... : 8/10


8/10

Créée

le 25 juin 2019

Critique lue 2.7K fois

29 j'aime

12 commentaires

Theloma

Écrit par

Critique lue 2.7K fois

29
12

D'autres avis sur Le Daim

Le Daim
EricDebarnot
8

Folie contagieuse

N'étant pas un spécialiste du cinéma de Quentin Dupieux, que je n'ai découvert que tardivement, il me semble néanmoins que ce passionnant "Daim", malgré les apparences (et le pedigree du bonhomme),...

le 20 juin 2019

109 j'aime

12

Le Daim
Vincent-Ruozzi
7

La guerre des blousons

Rares sont les réalisateurs menant deux carrières bien distinctes frontalement. Quentin Dupieux appartient à ce cercle très fermé. Réalisateur de huit long-métrages à tout juste 45 ans, il est...

le 12 juin 2019

73 j'aime

10

Le Daim
Grimault_
7

Le Prisonnier du Daim cher

Pour cette 72e édition du Festival de Cannes, la Quinzaine des Réalisateurs s’ouvrait ce mercredi 15 mai sur un film français relativement attendu, à savoir Le Daim, septième long-métrage de Quentin...

le 16 mai 2019

57 j'aime

7

Du même critique

Us
Theloma
7

L'invasion des profanateurs de villégiature

Avec Us et après Get Out, Jordan Peele tire sa deuxième cartouche estampillée "film d'horreur". Sans vraiment réussir à faire mouche il livre un film esthétiquement réussi, intéressant sur le fond...

le 21 mars 2019

107 j'aime

33

Ad Astra
Theloma
5

La gravité et la pesanteur

La quête du père qui s’est fait la malle est un thème classique de la littérature ou du cinéma. Clifford (Tommy Lee Jones) le père de Roy Mac Bride (Brad Pitt) n’a quant à lui pas lésiné sur la...

le 18 sept. 2019

97 j'aime

55

Life - Origine inconnue
Theloma
7

Martien go home

Les films de série B présentent bien souvent le défaut de n'être que de pâles copies de prestigieux ainés - Alien en l’occurrence - sans réussir à sortir du canevas original et à en réinventer...

le 21 avr. 2017

81 j'aime

17