Quel choc ressenti devant ce film documentaire, découvert un peu par hasard dans la sélection d'un site de VOD (Mubi, pour ne pas le citer) ! Splendide témoignage d'une vie rurale qui semble aujourd'hui largement disparue. Dans un geste bazinien intransigeant, Dominique Benicheti "se contente" d'enregistrer un pur flux de réalité... à savoir la vie ordinaire et millimétrée du paysan Jules, tout à sa tâche et à son emploi du temps, du moins dans la 1ère partie (un peu aride) du film.
Quasiment muet, mais jamais silencieux (le film est un régal de sonorités : raclement d'une lame de rasoir sur la peau, glouglou du vin qui coule dans la bouteille, tintements du marteau sur le métal chauffé), le film va passer de ce qu'incarne Jules (une figure absolue du paysan à sa besogne), presque mythique (voir le magnifique travelling arrière sur Jules et sa femme sirotant leur café, avec d'ailleurs un des rares dialogues nettement intelligibles du film : "ah, il est bon le café !", ce à quoi acquiesce sa femme, Félicie) à ce qu'il est, en tant que personne dans sa seconde partie, bouleversante.
Rares sont les films à laisser le spectateur atteindre par lui seul la vérité de leur œuvre, sans rien signaler explicitement. Pour ma part, il m'a fallu une bonne demi-heure pour intégrer le fait que
Jules était devenu veuf.
Passant ainsi d'un geste bazinien à une dimension plus métaphysique (incarner l'absence), le film laisse alors son spectateur se dépêtrer seul avec cette réalité nouvelle. Notre regard sur Jules se charge désormais d'une empathie terrible. Le voir longuement préparer sa soupe, isolé, avec son chat, devient un geste tristement ordinaire, non plus mythique. Et le plan final de la forge et des outils abandonnés devient quasi-mélodramatique...