Le Collier du Louxor
Le Collier du Louxor

Court-métrage de Antoine Pineau (2020)

Parfaitement conscient de la difficulté qu'il y a - à partir d'une simple volonté créatrice - à donner existence à une œuvre artistique, surtout quand elle exige tous les investissements intellectuels, affectifs, matériels, financiers qu'un film nécessite, et ayant suivi (sans doute d'assez loin mais non sans sympathie) la gestation de ce court métrage, j'imaginais bien la somme de persévérance, travail, sacrifices, amour, amitiés que Le Collier du Louxor représentait, et j'étais assez anxieux d'en voir la réalisation.


Le début rappelle un peu (par le grain de la photo, la qualité du noir et blanc, l'ambiance tranquille, lumineuse) les films de la Nouvelle Vague (Les Quatre cents coups, Ma Nuit chez Maud). Il ouvre sur un plan large d'un métro aérien glissant sans bruit le long de la ligne droite Bd de la Chapelle / Bd Rochechouart, puis la caméra pique du nez et balaie les abords du cinéma Le Louxor dont maints Parisiens cinéphiles savent qu'il typifie depuis un siècle l'angle des Bds de la Chapelle et Magenta. J'admire que le chef opérateur du film ait réussi à transfigurer le quartier en un coin paisible et quasiment poétique (sans doute en le photographiant de très bon matin), alors qu'il est le plus souvent animé d'un flot constant de véhicules bruyants et de populations bigarrées. Nous voilà maintenant dans une des nouvelles salles du cinéma et on reconnaît sur l'écran les pentes montagneuses enneigées des images finales de La Grande Illusion. La caméra se fixe sur une des spectatrices qui tripote machinalement le collier ornant son cou. La salle s'éclaire, le public se lève, se dirige vers la sortie... et c'est alors qu'elle est sous la rotonde du Louxor (et encore, sûrement, à moitié dans le film de Renoir) que la jeune femme (on apprendra qu'elle se nomme Solange Billaudaut, professeur des écoles) se fait arracher son collier en or par un jeune inconnu qui semblait guetter là... ou l'attendre, et qui, bousculant des passantes, s'enfuit à toutes jambes par le Bd de la Chapelle. Fin de la première scène ou séquence et ces trois, quatre premières minutes ont été parfaitement menées.
On retrouve la jeune femme dans un bureau du commissariat de police, où le commissaire, flanqué de sa secrétaire, lui demande de relater le vol dont elle a été victime. On comprend qu'entre-temps, le voleur a été arrêté. Le policier présente le collier saisi à la jeune femme qui le reconnaît comme sien et déclare qu'il lui a été offert par son fiancé (gérant d'un bar-café du quartier). La confrontation avec le voleur a alors lieu. Il est introduit, menottes aux poignets, et déclare spontanément au commissaire qu'il reconnaît la jeune femme comme étant bien la personne, du cou de laquelle il a arraché le collier. Il explique alors pourquoi (et "commandité" par qui) il a commis le vol. Les explications du voleur, un jeune SDF d'origine russe tombé dans la drogue, au demeurant pas antipathique, semblent assez confuses et invraisemblables aux yeux et oreilles du commissaire. Lequel paraît d'ailleurs se désintéresser de plus en plus de l'affaire, au point que c'est Irène, sa secrétaire, qui se sent obligée de prendre les choses en main.
Tandis que, dans le bureau, les choses virent bizarrement au farfelu, voire au surréaliste, Irène procède au contre-interrogatoire du délinquant (Vladimir Pujavsky)... grâce à quoi elle et Solange Billaudaut (l'instit.) comprennent que celle-ci a été victime d'une machination ourdie par son fiancé, le gérant du bar, dans le but de fournir à la police un coupable du récent casse sur laquelle elle enquête, en faisant de Solange Billaudaut, avec la complicité achetée du jeune SDF drogué, une voleuse volée.
Je dois dire que la "machination", telle que démontée / analysée / dévoilée par Irène (la secrétaire du commissaire et en lieu et place de celui-ci), ne m'a pas vraiment convaincu.


Elle supposerait que la prof. des écoles soit tellement peu futée et son fiancé tellement machiavélique, qu'elle n'ait jamais soupçonné qu'il menait une double vie, tantôt hétéro gérant de bar et tantôt chef homo d'un "gang des folles" (c'est le nom du gang - là, on est loin de Truffaut, Rohmer ou Renoir, on tombe dans du Gérard Oury) braqueur de bijouteries et apparemment connu comme tel non seulement du commissariat de l'arrondissement, mais aussi du public, puisque la prof en a elle-même vaguement entendu parler.
Le fiancé de Solange Billaudaut ne lui aurait offert le collier, fruit d'un des braquages, que pour pouvoir la faire accuser de ceux-ci. Comme si, à supposer que la prof. des écoles ait trouvé le temps, entre ses cours, de monter et réaliser un casse (avec quels complices ?) qui lui aurait, entre autres, rapporté ce collier, elle serait assez imprudente pour : 1. le porter elle-même et 2. se l'étant fait malencontreusement voler, aller déposer plainte au commissariat à ce sujet.
Donc, pour moi, la "machination" ne supporte pas vraiment l'analyse.


Cependant, si on accepte l'idée qu'un gang de braqueurs ait l'esprit assez obscurci pour croire que la police va gober suffisamment longtemps leur machination à la mords-moi le noeud pour leur permettre de prendre le large et passer les frontières, le film se termine assez élégamment par un flashback de ce qui nous a déjà été montré au début (fin de projection de La Grande Illusion, sortie des spectateurs et vol à la tire du collier par le SDF drogué), mais tel que vu à la jumelle, depuis un balcon de l'immeuble faisant face à l'entrée du ciné Le Louxor, par le "machiavélique" fiancé et son amant s'assurant ainsi que le vol, qu'ils ont en quelque sorte commandité, se déroule bien comme ils le souhaitent. On voit ensuite les deux mecs s'enlacer langoureusement, leurs passeports ayant été ciblés par la caméra sur une table basse juste un peu avant. Et générique final sur une musique originale mi-ironique mi-mystérieuse (que j'ai bien aimée) signée Lucas de Gastines.


La réalisation d'Antoine Pineau est, pour un film fait avec les moyens du bord, hyper soignée. La photo (de Ludwik Pruszkowski) est belle. Je ne suis pas un technicien, mais les angles des prises de vue, les cadrages m'ont semblé bons, couler de source.
La longue scène à quatre dans le bureau du commissaire de police est évidemment le morceau de bravoure et la partie la plus casse-gueule du film, parce qu'elle est essentiellement dialoguée et explicative.
Elle repose heureusement sur quatre acteurs qui font qu'on la suit avec intérêt.
Ludovic Bergery compose un commissaire plus poète que policier ( genre "Le Sous-préfet aux champs" des Lettres de mon moulin) pour se conformer, j'imagine, à la volonté du réalisateur qui a voulu donner une dimension comique à l'interrogatoire. Manon Clavel, en secrétaire qui prend la direction des opérations et joue les Sherlock Holmes, a de la présence, du caractère et un texte pas simple à faire passer, dont elle se tire plutôt brillamment. Marilyne Canto / la prof. des écoles joue son rôle tout en finesse (peut-être un peu trop) et y ajoute même un soupçon d'humour quand elle a le front de réclamer "son" collier, en fin de partie, une fois les choses tirées au clair. Quant au SDF voleur occasionnel, Guillaume Verdier (qui a lui aussi beaucoup de présence à l'écran) le rend presque sympathique, parce qu'il le joue direct, ouvert, vivant et... honnête.
Enfin, les deux acteurs personnifiant les "méchants" n'apparaissent que trop fugitivement pour que je puisse en dire grand chose.
Je résume. Le Collier du Louxor est formellement excellent : la photographie est belle, le montage (et l'insertion des deux extraits de La Grande Illusion) d'une grande fluidité, la bande son agréable, stylée, et l'interprétation de très bon niveau. Le fond est peut-être plus discutable, mais... nobody is perfect.


Conclusion. Que le jeune réalisateur Antoine Pineau, dont c'est le deuxième court-métrage, ait réussi à réunir autour de lui une équipe de professionnels de cette qualité, réussi également à organiser, gérer, soigner les moindres détails de son projet et pour ce résultat-là, me semble non seulement satisfaisant, mais prometteur. J'attendrai donc son premier long métrage avec curiosité, impatience et sympathie.


P. S. Le Collier du Louxor s'est vu décerner le Prix du Jury au Festival de Brescia en septembre 2021.

Fleming
7
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le 13 sept. 2020

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