La fièvre Katmandou au village d'Herouville le samedi soir...

La fièvre de Katmandou au village le samedi soir...

L’’argent ne fait pas le bonheur. C’est à se demander pourquoi les riches y tiennent tant.(Georges Feydeau )

Ça aurait pu être la devise de Michel Magne (1930-1984) : ce nom ne vous dit rien ?

Voici un compositeur, arrangeur musical, chef d'orchestre qui accompagna Henri Salvador : il aura ensuite créé plus de soixante-dix bandes originales sonores : la musique d'ouverture de la célèbre émission de télé "Cinq colonnes à la une", c'était lui et il a écrit l'accompagnement de nombreux films... comme la série des Angélique qui avait fait fondre Marie-claude dans les bras de son futur mari...

On ne sait pas grand chose de son enfance, mais attiré par la musique, et des essais improvisés pas toujours convaincants, son talent de compositeur finit par être remarqué par le réalisateur Abel Gance : c'était le début d'une réussite professionnelle qui lui permit de signer la musique de nombreux films...

Mais c'était aussi une cigale qui m'a rappelé la fable de "La Fontaine" : Après avoir chanté tout l'été, elle se trouva fort dépourvue lorsque la bise fut venue...

Michel Magne se définissait lui-même comme un romantique farfelu ! S'arrogeant même le droit de décider lui-même du moment de sa mort à la place de Dieu ! Ce qui avait du reste séduit la compagne bien plus jeune que lui : Marie-Claude qui allait devenir sa femme et lui donner un fils.

Alors, farfelu, anarchiste, frimeur ? "Il avait une fille le jour, une autre la nuit" confie-t-elle avant de répondre oui à la demande de mariage sous condition qu'elle soit sa seule femme...

Sa réussite lui avait permis d'acheter en 1962 avec un ami et à une trentaine de kilomètres de Paris, un château dans le Val d'Oise perdu sur la RD 927 entre Pontoise et Méru, dont on affirma qu'il avait abrité les amours de Georges Sand et Chopin... Qui revenaient parfois hanter les lieux...

Le château était-il déjà prédestine à la musique ? Cent-vingt ans après Chopin, un autre compositeur est séduit par la demeure...

En fait la bâtisse était plutôt un manoir dans lequel il fait aménager dans les combles de l'aile Nord une salle de musique, pour ses besoins personnels avec piano à queue (Steinway & Sons de 1901) , orgue électronique, instruments divers, avec de quoi travailler pour ses collaborateurs...

On pourrait écrire un bouquin sur cette histoire de saltimbanque voulant sa tranquillité dans une vie de château, un peu à la manière de Joséphine Baker, Louis de Funès... Le copropriétaire étant décédé en 1965 dans un accident de voiture, Magne rachète ses parts et devient seul propriétaire du château... On en a jamais connu les causes réelles, mais à la suite d'un incendie ayant ravagé cette salle de musique le 26 mai 1969, il perdit toute ses partitions de compositeur et tout son équipement de travail... Un déchirement pour celui qui a mis en musique Les Tontons Flingueurs, Fantômas ou encore les premiers OSS 117... comme on peut le voir dans ce documentaire avec un Magne anéanti devant des bâtiments ravagés, calcinés... Un peu comme Melville dans son studio Jenner qui lui aussi jadis, avait été détruit par un incendie étrange...

Il fait alors transformer les combles de l'aile Sud en studio d'enregistrement, mais devant l'énormité des frais engagés, décide de créer la SEMM (Société d'Enregistrement Michel Magne), le 18 novembre 1969) afin d'exploiter commercialement ce studio de 100 m2 et 6 mètres de hauteur sous plafond, et éclairé naturellement le jour...

Désespéré après la perte de son œuvre, qu’il avoue être « incapable de réécrire », le compositeur change de stratégie : « si je n’ai plus rien, alors je vais faire venir la musique chez moi. »

Tous les musiciens se féliciteront des qualités acoustiques exceptionnelles de ce studio, tels les Bee Gees y ayant enregistré "Saturday Nihgt" pour obtenir une musicalité si particulière...

C’est Michel Magne qui le dit lui-même dans son autobiographie : "l’amour de vivre, le château est, dans les années 80, le plus célèbre lieu d’enregistrement du monde de la pop music"

Les créateurs aimant un confort douillet, Magne proposait aux clients de ses studios une hôtellerie complète et luxueuse avec un chef étoilé aux cuisines. Mais aussi un équipement de détente complet : jeux divers, piscines... dans laquelle les ébats des nageurs gênaient parfois les musiciens en cours d'enregistrement... Le Strawberry Studio fut donc un des premiers en France à expérimenter cette formule du studio "tout compris" qui allait attirer les célébrités musicales du monde entier... On était priés d’éviter de fumer dans la mesure du possible, l'électronique n'appréciant pas la nicotine...

Soucieuses de toutes ces attentions, les stars affluaient comme David Gilmour (qui tétanisait Marie-Claude Magne) et Roger Waters, compositeurs des Pink Floyd, mais Elton John (qui y enregistra "Rocket man" puis "Goodbye Yellow Brick Road" deux de ses plus grands succès en 1973) qui appelait le château "Honky Château," Iggy Pop en 1977, Cat Stevens, T. Rex, David Bowie, Jethro Tull, Uriah Heep, Grateful Dead, en 1972, l’ex-compagne de Jacques Higelin, "la China Girl", Eddy Mitchel qui appréciait la piscine et vint y enregistrer son album "Rock N’Roll etc... la liste est longue...

Avec ses cinquante-sept pièces, son tennis, sa piscine… le château d’Hérouville faisait rêver dans les seventies...,. Construit en 1740, il avait servi de relais de poste entre Versailles et Beauvais, puis d'écurie... avant d'être au service du meilleur confort... “Le plus célèbre lieu d’enregistrement du monde” en disait Fleetwood Mac avant d'entrer dans le château...

Mais Magne n'avait rien d'un gestionnaire ni intendant économe : un des techniciens révèle : "la facture des caisses de Champagne était parfois plus élevée que le prix de location des studios, alors forcément, ça ne pouvais pas durer ! Magne était généreux ! L'argent c'est fait pour être dépensé disait-il !"

Sa largesse, l'accueil trop fastueux qu'il réserve aux artistes venant chez lui, le conduisirent finalement à la faillite en 1972 et il fut contraint de céder le château en location gérance, et de s'exiler dans le Sud de la France avec sa famille. Il eut le sentiment d'être spolié, et après le procès qu'il perdit, tous ses droits d'auteur furent saisis : il essaya de vendre ses œuvres et bandes magnétiques comme objets d'art... Pour lui, l'art était partout...

Consternant, navrant quand on voit le film de Conte qui donne envie de pleurer sur cette descente aux enfers...

Marie-Claude qui en était séparée depuis 1974 avait reçu un appel selon lequel il allait aller se reposer dans une résidence du "club Med"... En fait, pour honorer sa prédiction de décider lui-même du jour de sa mort il se suicida avec des barbituriques un 19 décembre après avoir écrit une demande de pardon à sa femme et son fils de onze ans... "Son ami proche dira de lui :"il voulait vivre comme une prince, ila terminé comme capitaine Fracasse"

Les raisons du désastre ?

A travers les témoignages de son ex-épouse Marie-Claude restée très mignonne et très naturelle, a revu avec émotion la demeure avec abandonné là le Steinway...

Elle en a vu toute émerveillée de ces stars défiler , nombre regrettant cette époque révolue... (où leur jeunesse, leurs succès d'alors...

Le documentaire de Christophe Conte superbe est superbe sur tous les plans et le choix des archives filmées un modèle du genre.. Place à la nostalgie d'une époque fastueuse comme on la redécouvre avec nostalgie, comme si le temps s'était arrêté avec Magne...

Avec des témoins comme les ingénieurs du son Dominique Blanc-Francard et Laurent Thibault, des artistes comme Boris Bergman, Bernard Lavilliers, Bill Wyman – membre historique des Rolling Stones —, ainsi que d’Iggy Pop et de David Bowie, Kuêlan N’Guyen.

Le propriétaire des platines de mixage ayant repris son matériel, Gérard Delassus, un vieil ami de Michel, qui l'avait aidé à aménager sa salle de musique de l'aile Nord partie en fumée, considéra que sa présence était devenue inutile...

Serge Moreau, le cuisinier, avait prédit à Magne que personne ne viendrait enregistrer si loin de Paris dans un trou de six-cents habitants... Il est vrai qu'un tel éloignement coupait avec la jet-set parisienne : le pari était audacieux... Un coup fatal lui avait été porté avec un Elton John n'appréciant pas son gras double... Tout le monde n'apprécie pas la gastronomie française comme

les escargots ou cuisse de grenouilles mais pourtant Elton était un fan d'Hérouville...

-selon l'un d'eux, les studios vieillissent très vite, comme les goûts du public et si on ne s'adapte pas en permanence...

En 1971, la petite ville d’Auvers-sur-Oise prend le pari démentiel d’organiser "son Woodstock" français : un festival gratuit, à trente kilomètres de Paris, avec Grateful Dead, groupe de rock star de l’époque qui s'était installé à Herouville...

Les groupes Osmose, Eruption et Mormos avaient ouvert le bal devant 30 000 spectateurs, des trombes d’eau s’abattirent sur Auvers. détruisant avec elles tout le matériel, éclairage et sonorisation... Un déluge qui sonna le glas du festival populaire...

Grateful Dead décida de ne pas frustrer son public et leur hôte : les rockeurs avaient été si bien reçus qu’ils décidèrent d’organiser un concert impromptu en cadeau à Michel Magne et au château d’Hérouville.

Au lieu d’inviter le “Tout Paris”, Magne préfèra convier les habitants du village et voulut que ce soit une fête pour Hérouville, sans policiers, la sécurité étant assurée par les pompiers du coin.

Grateful Dead fit un tabac avec un buffet et des alcools améliorés. de LSD amenés par les musiciens.... Jusqu'aux pompiers nageant nus dans la piscine du château et les quelques deux cents villageois ayant perdu toute notion de self-control... tous les invités de laissèrent aller aux orgies de groupes... Initialement prévu comme lieu de travail, le succès du studio le transforme, au fil du temps, en un espace de fête, de liberté et de tous les excès…

Après diverses péripéties et une cessation d’activités de plus de vingt ans à partir de 1985, le château d’Hérouville renaît une seconde fois en janvier 2015, grâce à deux ingénieurs du son qui veulent ressusciter ce temple du rock, avec l’aide des habitants du village...A ce jour, le château d’Hérouville n’est pas mort !

La seule fausse note de ce documentaire musical vient de la narratrice : Lou Doillon. Sait-elle que les cours de diction, ça existe ?

A voir aussi, si vous avez aimé ce documentaire : «Les amants d’Hérouville. Une histoire vraie», de Yann Le Quellec et Romain Ronzeau avec Thomas Cadène, éd. Delcourt.(1)

en tapant :

(1) https://www.editions-delcourt.fr/bd/series/serie-les-amants-d'herouville-une-histoire-vraie/album-amants-d-herouville-une-histoire -vraie

(voir rubrique "réactions de SC")

L'éditeur vous offre même la découverte de l'histoire à ses débuts....

Bravo à Christophe Conte : on se subit pas un documentaire fastidieux, on se régale de cette épopée du rock et on vibre autant que dans un film... Le réalisateur est à n'en pas douter un fan : journaliste, il a écrit dans plusieurs magasines rock, a été chef de rubrique dans les "Inrockuptibles" et a écrit des biographies sur Daho, Nino Ferrer, Bashung, Bowie, the Kinks, The Who et the Beach-Boys et plus particulièrement Brian Wilson... Belles références ! je parierai squ'il eut aimé vivre l'histoire des des bateaux transformés en radio pirates et ancrées à la limite des eaux territoriales britanniques pour échapper au monopole de la BBC !

France 5 le 19.01.2024-

270345
10
Écrit par

Créée

le 25 janv. 2024

Critique lue 29 fois

2 j'aime

2 commentaires

270345

Écrit par

Critique lue 29 fois

2
2

Du même critique

Gorge Profonde - Quand le porno est sorti du ghetto
270345
2

Tu te laves toi après avoir fait l'amour ? Ben oui, pourquoi ? (suite ci-après)

Tu te laves toi après avoir fait l'amour ? Ben oui, pourquoi ? (suite ci-après Ben parce que tu devrais baiser plus souvent !Ce film commente deux choses : la sortie du film "Gorge Profonde" en...

le 19 août 2022

8 j'aime

13

La Baule-les-Pins
270345
3

La Baule ? Sans le punching !

La Baule ? Sans le punching !La réalisatrice et aussi co-scénariste (ça fait déjà beaucoup !) avait très mal vécu jadis le divorce de ses parents quand elle avait douze ans... De là à faire de...

le 20 janv. 2021

8 j'aime

13

Nell
270345
8

La femme, même sauvageonne, sera toujour un sujet sur lequel j'aime m'étendre...

Malgré toutes mes recherches, je n'ai pas réussi à savoir pourquoi ce si beau film avait été affublé d'un titre aussi neuneu ! C'est même la seule chose ratée dans cette oeuvre ! Certes, l'histoire...

le 21 déc. 2019

8 j'aime