La France n’est plus en guerre sur son sol depuis plusieurs décennies. Mais le souvenir des deux guerres mondiales reste vif et toutes sortes de menaces potentielles sont prises au sérieux par nos dirigeants. C’est ainsi que depuis 1967 avec « Le Redoutable », les forces armées françaises comptent parmi elles au moins un sous-marin doté de l’arme nucléaire (SNLE : sous-marin nucléaire lanceur d’engins). Si début 2019, la France dispose de 6 SNLE, les États-Unis et la Russie notamment en comptent davantage. Bref, ces bâtiments patrouillent dans les mers et océans en toute discrétion par rapport aux informations connues du grand public.


Mais, pour les militaires c’est une tout autre histoire. Ces SNLE effectuent régulièrement des missions et, à leur bord, tous les membres de l’équipage sont entraînés physiquement et psychologiquement pour répondre à une éventuelle attaque nucléaire, d’où qu’elle vienne. Il s’agit bien d’une force dissuasive (à n’utiliser que pour riposter à une attaque), connue de toutes les puissances mondiales, déployée stratégiquement et qui n’utiliserait l’arme nucléaire que sur ordre clairement identifié du Président de la République. Pour cela, une procédure stricte existe et, une fois la contre-attaque décidée et authentifiée par le commandant de bord et son second à bord du SNLE concerné, les hommes savent que désormais seul cet ordre compte et que rien ni personne ne doit les faire dévier de cette terrible mission.


Le chant du loup montre la vie à bord du SNLE « L’Effroyable » d’abord dans une mission de récupération d’hommes, au nez et à la barbe d’un sous-marin non identifié. A cette occasion, on découvre le rôle essentiel tenu par un homme ayant ce qu’on appelle l’oreille d’or. En écoutant les sons de la mer, Chanteraide (François Civil) est capable d’identifier n’importe quel sous-marin : son nom, son type de propulsion et jusqu’au nombre de pales de son hélice propulsive. Un rôle fondamental pour le capitaine qui doit décider en un éclair s’il peut accomplir sa mission comme prévu ou bien faire en sorte qu’on tente autre chose. Car des vies humaines sont en jeu. A cette occasion, on observe sans surprise l’omniprésence de la technologie dans le sous-marin. Des appareils enregistrent ce que Chanteraide écoute. Le son émis par tout sous-marin connu peut être présenté sous la forme d’un diagramme, sorte d’empreinte digitale du vaisseau. Des spécialistes étudient tout cela à l’État-Major et des archives sont conservées.


En jouant la carte de l’action, le film met les spectateurs en immersion totale. Dès le début, on sent une réelle tension et rapidement on comprend les intérêts qui sont en jeu (sans oublier les conflits de personnes interférant à l’occasion avec la hiérarchie militaire). Le rôle de Chanteraide est bien mis en évidence, ce qui présente un véritable atout pour ce film, car la crédibilité apportée par les appareils de haute technologie et leur utilisation peut rapidement submerger les spectateurs, alors que s’intéresser aux sons apporte une dimension supplémentaire à l’image. La bande-son a donc ici une importance fondamentale, avec une BO (signée tomandandy) qui renforce la tension et des sons qui prennent une signification capitale. Bien évidemment, ces sons appuient le travail sur l’image (dès l’affiche, très réussie à mon avis), avec ses couleurs sombres, mais aussi l’impression d’enfermement, de promiscuité, de danger réel dès que quelque chose cloche (de la tension entre deux membres de l’équipage aux moments qui suivent une explosion).


Dans le casting, Paula Beer joue les utilités et Omar Sy se tire bien d’un contre-emploi. Reda Kateb et Mathieu Kassovitz sont irréprochables dans un film où les sous-marins font partie des personnages principaux (quelle sensation de puissance quand l’un d’entre eux fait surface, tel un immense squale!) A la réalisation et pour son premier long métrage, Antonin Baudry signe enfin de son nom. En effet, il utilisait le pseudonyme d’Abel Lanzac pour le scénario de Quai d’Orsay, aussi bien la BD (2010 et 2011), que son adaptation cinématographique par Bertrand Tavernier (2013). On imagine aisément que sa proximité des cercles du pouvoir l’incitait à la discrétion. Ses connaissances lui servent encore très probablement pour Le chant du loup où il signe également le scénario. Son sens de l’action et du spectacle lui permettent de captiver ses spectateurs. La guerre sous-marine donne lieu à des scènes d’un réalisme saisissant, où les péripéties s’enchaînent pour scotcher les spectateurs à leurs sièges. Suspense impressionnant dont la seule vraie faiblesse à mon avis tient à son histoire d’amour on ne peut plus banale. D’ailleurs, la façon dont Chanteraide se laisse aller à certaines confidences ne colle pas vraiment à son personnage, même si cela le rend humain.


En conclusion, le film donne à réfléchir sur la notion d’arme de dissuasion. Dans les esprits, la puissance de dévastation de l’arme nucléaire doit dissuader d’attaquer quiconque la possède. Le raisonnement se tient, jusqu’au déclenchement pour une raison quelconque (défaillance technique, erreur humaine, besoin de provocation à tout prix, etc.) d’un mécanisme irréversible qui ne peut que provoquer d’immenses dégâts, à l’image du nom du sous-marin « L’effroyable ». Le cinéma a déjà apporté matière à réflexion dans ce domaine avec notamment Doctor Folamour de Stanley Kubrick (1963) et Point limite de Sidney Lumet (1964), à l’époque de la guerre froide. Le désarmement ? La diplomatie y travaille. En espérant éviter la « fatal error » ...

Electron
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le 23 févr. 2019

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