Le Brio est le 7e film d’Yvan Attal en tant que réalisateur et son 1er sans Yvan Attal comme acteur. C’est une histoire de contraires qui s’attirent et finissent par adorer se détester. Rien de bien nouveau sous le soleil du cinéma français, mais de quoi passer un moment plutôt agréable à rêver d’ascension sociale et de cynique au grand cœur.


Cette semaine, j'ai décidé de faire un jeu. Le principe est de changer mes habitudes. En quelque sorte, j'ai décidé que le film ne fait pas le critique. Et c’est aussi un peu, tiens tiens, le sujet du dernier film en date d’Yvan Attal, Le Brio. Dans le film, Neïla se demande si l’habit fait ou non le moine au cours d’un des tours du concours d’éloquence auquel elle est inscrite pour sa « fac de fachos » (en apparence), Assas. Le jeu du film, est de tenter de déconstruire les clichés. Comment ? A coup de mots, et d’une petite dose (mais quand même!) de bons sentiments. Si le film donc ne fait pas le critique, et que le cinéphile peut tout autant s’extasier avec Justice League, Faute d’amour ou encore Jalouse pour prétendre aimer le cinéma, le critique peut-il faire le film ? Non, nous ne tentons pas de raviver ici la vieille polémique sur le critique aigri car il n’a pas pu faire de film/ou autre oeuvre d’art et passe donc sa vie à critiquer (le terme est ici forcément négatif et sans nuance) l’œuvre d’un autre (et le plus souvent s’il vous plait, un génie incompris). Ici, nous nous demandons plutôt si le critique peut faire la réputation du film. Là encore Le Brio se prête assez facilement à la réponse, ou du moins au questionnement, puisqu’il est partout (sans chercher à parodier le titre du précédent film d’Yvan Attal). Oui, littéralement partout dans la presse télévisuelle et écrite, mais aussi à la radio à tel point que l’on peut finir par croire qu’un seul film seulement sort cette semaine au cinéma. Il ne sera donc pas ici question de vous convaincre ou non que Le Brio est un bon film, qui peut-être remplit bien son contrat et vaudrait alors le déplacement dans une salle obscure.


Quand l’élève dépasse le maître


Un contrat rempli d’abord en apparence grâce à celle que la presse qualifie d’ores et déjà de « révélation » (mais la semaine dernière c’était la Maryline de Galienne interprétée par Adeline d’Hermy), Camelia Jordana. La jeune actrice de 25 ans fait bien le job, sans surprise cependant, devenant peu à peu au cours du film, un peu comme son personnage, plus sûre d’elle, plus sereine. Elle parvient à bien parler et à faire passer des émotions. A ses côtés se trouve la parfaite antinomie en la personne de Daniel Auteuil qui, n’ayant plus rien à prouver à personne, se contente de faire ce qu’on attend de lui, à savoir jouer le salaud, mais au cœur tendre. Bref, Daniel Auteuil est le paradoxe du film, la figure forte, soit le prof d’Assas provocateur Pierre Mazard, qui se fait dépasser par son élève, la lumineuse et banlieusarde Neïla Salah. Le tout est saupoudré d’une rencontre houleuse et pour le moins fracassante qui laissera place à une belle amitié. Nous ne sommes pas là face à une « bataille des sexes », comme celle qui se joue dans le film de Jonathan Dayton et Valerie Faris, mais plutôt à une lutte des classes où il s’agit de se détacher de son passé pour de se donner un avenir. Coïncidence ou non, la même semaine Marvin (ou la belle éducation, le sous-titre a de l’importance) se bat lui aussi pour s’extirper de son milieu d’origine. Il est le petit frère de cinéma du personnage aussi fictif que réel qu’Edouard Louis a dépeint, se dépeignant ainsi lui-même, dans En finir avec Eddy Bellegueule, faisant naître la polémique sur le dédain avec lequel il traitait sa famille dans ses pages. Pour en revenir au Brio, c’est aussi en quelque sorte « l’amende honorable » (comme Neïla l’est et ne veut pas l’être pour Pierre) d’Yvan Attal qui se relève un peu de l’échec critique que fût Ils sont partout. Pour cela, il vante des valeurs aussi simples que le pouvoir des mots, la force de l’éducation. Et son film s’ouvre sur des mots justement prononcés par des figures majeures qui s’opposent à la paresse, à leur époque (et si c’était elle qui avait tort?), et qui disent que ce sont les mots qui font l’idée et pas le contraire. Cette dernière formulation, on la tient d’une apparition furtive de Gainsbourg dans Le Brio, non pas celle qu’on attend, mais plutôt son père, oui le père de la femme d’Yvan Attal qui est une actrice. Serge nous prouve donc dans une image d’archive, la force du mot qui va véhiculer l’idée. Au final, Le Brio vaudra quelques mauvais jeux de mots aux critiques sur sa mise en scène réalisée « avec brio ». Ici, on est plus nuancés sur cette mise en scène : il y a quelques belles idées, notamment dans le métro, sinon c’est l’opposition classique entre le vieux solitaire qui mange seul et la jeune fille aimée qui s’amuse avec ses amis. Puis il y a les scènes de « foule » où Neïla fait entendre sa voix, promet de dire la vérité, même si celle-ci n’existe finalement que le temps qu’elle parle. Au final, Le Brio est ivre de mots, tente sans cesse de faire évoluer ses personnages, de les sortir des sentiers battus, quitte à forcer le trait. Pierre est ainsi dans les mots de Neïla un cynique qui a trop de mots, de passions. Le Brio lui aussi est un produit un peu trop beau, un poil trop calibré pour nous convaincre complètement.

eloch
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le 18 juil. 2018

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