Claude Autant-Lara n'en était pas à son premier coup de pied dans la ruche morale en 1954 (Fric-Frac en 1939 était déjà doté d'un grand potentiel corrosif et La Traversée de Paris arrivera deux ans après...), puisque Le Diable au corps et L'Auberge rouge étaient déjà sortis respectivement 7 et 3 ans avant, chacun ayant déclenché des remous dans les franges les plus traditionalistes de la vieille France. Et avec Le Blé en herbe, c'est un peu comme s'il affichait fièrement son majeur tendu en l'air à ces gens-là.


Rien de gratuit dans ce film, pour être plus sérieux : la fameuse qualité française est bien là, dans toute sa splendeur (et sans doute dans tout ce qui agaçait Truffaut à l'époque), avec une photo très propre, un montage très propre, des acteurs très propres. Certes, tout est trop propre, trop lisse, mais uniquement sur la forme : car le fond est tout de même bien brûlant. Un adolescent de 16 ans en vacances sur la côte bretonne, avec son amie de toujours qu'il considère comme sa sœur, développe une relation très singulière avec une femme d'âge plutôt mur, quarantaine bien passée. Pour être plus précis : cette femme l'initiera à l'amour charnel, et il profitera de cet apprentissage express pour passer la vitesse supérieure avec son amie. Double amoralité, on ne fait pas semblant. La thématique est en ce sens proche de celle de Cybèle ou les Dimanches de Ville-d'Avray, mais les traitements sont radicalement différents.


Un film vraiment étrange, qui diffuse un malaise bien différent aujourd'hui sans doute, en lien avec l'image beaucoup plus nette de la pédophilie que l'on a aujourd'hui, même si le rapport entre les deux personnages n'est jamais présenté sous une forme de domination ou d'asservissement : on aurait envie d'y voir un rapport amoureux "normal". Des enfants qui semblent totalement laissés à eux-mêmes, les parents n'étant pas présents moralement pour les soutenir dans cette étape transitoire. Étrangement, le garçon sera bien plus entreprenant avec la femme âgée qu'avec la fille plus de son âge — sans doute car on nous l'a présentée comme sa sœur, ou presque, le lien les unissant étant laissé flou pendant un long moment.


Il manque toutefois des acteurs plus crédibles (le protagoniste n'est pas particulièrement éloquent ou naturel, disons), même si on remarque la courte présence de Louis De Funès, et des sentiments plus vigoureux pour que la machine tourne. Un vent provocateur qui est annoncé dès l'introduction, avec la nudité du protagoniste et la colonie de jeunes filles aux regards curieux et gênés.


http://je-mattarde.com/index.php?post/Le-Ble-en-herbe-de-Claude-Autant-Lara-1954

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le 28 mai 2021

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Morrinson

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