LaRoy
6.7
LaRoy

Film de Shane Atkinson (2023)

Si le film montre une belle galerie de personnages, le titre est judicieux puisqu’en montrant ses habitants s’agiter, le réalisateur Shane Atkinson réalise un portrait saisissant de LaRoy, patelin situé au fin fond du Texas. Quelques plans montrent un endroit sinistré, avec des bâtiments délabrés. L’ensemble n’est guère plus reluisant. Le seul luxe à LaRoy, finalement, c’est l’espace. Et, le film fait sentir une ambiance typique, dont le symbole est le chapeau façon stetson vissé sur le crâne de Skip (Steve Zahn). Cowboy dans l’âme, celui-ci se veut détective (pardon, detetive… comme mentionné sur sa carte de visite), mais personne sur place ne le prend au sérieux. Ainsi, le duo de policiers locaux le cherche régulièrement pour lui jouer des tours pendables et ricaner ostensiblement quand il constate l’étendue des dégâts. Le personnage central, Ray (John Mangaro), vit dans une maison avec Stacy-Lynn (Megan Stevenson) une blonde plutôt mince et mignonne qui parle avec une voix un peu trop aigüe qui fait qu’on la prend pour la nunuche de service. Ce qui compte, c’est qu’elle veut ouvrir un salon de beauté avec du matériel haut de gamme, son idée du rêve américain qu’elle doit ressasser depuis longtemps. Malheureusement, ni elle ni Ray n’ont les moyens financiers nécessaires. Sentant que Stacy-Lynn le regarde de moins en moins et surtout pas avec l’admiration qu’il voudrait, Ray lui promet qu’ils vont « se débrouiller ». Toujours amoureux, Ray est motivé pour se débarrasser de l’image de loser qui lui colle à la peau. Il tâte le terrain en allant voir son associé de frère : est-ce qu’ils ne pourraient pas envisager de s’augmenter ? Ray et son frère Junior (Matthew Del Negro), tous deux mariés apparemment sans enfants, sont les copropriétaires d’un supermarché spécialisé dans le bricolage. Junior affiche la belle assurance qui manque désespérément à Ray. Question de physique ? Pas seulement, car Junior a une belle maison et vient d’acquérir (une affaire) un bateau sur remorque, prêt pour une prochaine virée en mer. Ray se demande bien comment fait son frère, mais il se contente de se poser la question, alors que la réponse lui crève plus ou moins les yeux… On sent donc que Ray fait des complexes par rapport à son frère qui fait une concession de principe de temps en temps, histoire de garder Ray à portée de main et de conserver sa position dominante. L’étude de caractères s’approfondit avec les circonstances. Stacy-Lynn, ancienne reine de beauté locale, considère son élection d’alors comme l’événement marquant de sa vie. Alors, quoi qu’il arrive, abandonner sa couronne (qu’elle conserve précieusement dans son écrin), jamais ! Sans lui être monté à la tête, son titre lui a donné une confiance sans doute exagérée, surtout que depuis, quelques années ont passé et sa vie n’a jamais décollé.


D’autres personnages de LaRoy interviennent dans l’intrigue : un avocat nommé James Barlow (pour lui, la roue tourne…), Adam Ledoux (Brad Leland), concessionnaire automobile au physique de colosse marié à une femme (Darcy Shean) qu’on prend d’abord pour une inoffensive mémère se contentant de s’occuper des cafés pour minauder en faisant la conversation. Mais, à LaRoy, il ne faut pas se fier aux apparences, ce couple en représente une sorte de révélateur. Il faut aussi citer l’associé de Barlow qui reçoit à un moment Ray et Skip. Une tête assez incroyable qui va être soumise à rude épreuve…


Bref, à LaRoy, la vie n’est pas spécialement un fleuve tranquille, malgré le peu de perspectives offertes par l’activité générale. Ce qui se passe en sous-main a créé suffisamment de rancœurs pour qu’un des habitants ait fait appel à un tueur professionnel, la combine se révélant particulièrement tordue (au point que, par moments, on peine un peu à suivre). L’intrigue prend corps avec son arrivée sur place, car au lieu de rendez-vous, Ray est pris pour le tueur. Le quiproquo est dû à la confrontation de deux mentalités qui s’affrontent dans un moment très particulier, de nuit, avec des états d’esprit inhabituels. Armé pour une toute autre raison, Ray n’obtient qu’un papier avec une adresse. Il s’aperçoit désireux de redorer l’image de son moi et plus curieux que d’habitude. Il faut dire qu’un peu plus tôt, Skip est venu le trouver avec des photos de Stacy-Lynn prises dans des circonstances troublantes. Même s’il a fini par dire à Skip de se mêler de ses affaires, Ray n’est pas dans son état normal.


Quant au tueur, ce professionnel à la gâchette facile et à l’humour douteux qui considère que l’essentiel du boulot est fait avec son déplacement (motels minables, bouffe à l’avenant, etc.) il ne vient à LaRoy que pour l’argent. Autant dire que personne n’est préparé à l’irruption d’un zigoto de cette trempe…


Le film lorgne sans complexe du côté du cinéma des frères Coen, ce qui tombe bien puisque le duo semble en perte de vitesse. Shane Atkinson a le bon goût de montrer d’où il tire son inspiration sans jamais faire du copié-collé. L’ambiance est franchement noire, avec la confrontation de personnages un peu naïfs avec un tueur sans états d’âme, ce qui nous vaut de nombreux moments complètement loufoques. Les calculs mesquins des uns et des autres se dévoilent au fil de l’intrigue. La réalisation oppose des espaces plutôt vastes à des mentalités plutôt étroites et s’appuie sur une photographie remarquable qui met aussi bien en valeur les ambiances diurnes que nocturnes (travail sur les couleurs), un montage de qualité (qui permet de passer judicieusement d’un personnage à un autre, d’un lieu à un autre) et une BO qui sonne bien. A noter pour conclure que cette réussite doit aussi à son casting sans aucune tête d’affiche pour accaparer l’attention, chacun-chacune s’investissant avec un bel enthousiasme.


Electron
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le 21 avr. 2024

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