Nouvel effort d'Hélène Cattet et Bruno Forzani, et agréablement découvert en compagnie de ce dernier lors d'une projection exceptionnelle à Marseille rassemblant une dizaine de personnes (vive le cinéma français auquel personne ne s'intéresse). Tournage en pellicule, création de l'intégralité de la bande sonore en post-prod (travail à l'italienne), conception de l'image en tant que tout (les acteurs et les lieux sont placés à égalité), trame linéaire explosée, on retrouve tous les partis pris du duo qui, après l'échec relatif de L'étrange couleur, a choisi de revenir à une histoire plus classique, à savoir le polar-thriller s'articulant comme un western. Les musiques seront donc puisées chez les grands maîtres italiens (Morricone, Nicolai...), et influenceront particulièrement le montage des scènes où elles interviennent. En entretien, le réalisateur a particulièrement insisté sur l'entremêlement des différents aspects du film (les lieux qui ont influencé le casting, le ressenti de l'équipe comme un tout, la musique orientant l'écriture...), et cela se ressent effectivement dans l'exploitation bizarroïde de cette histoire très classique, qui se pare continuellement de partis pris inhabituels.


Un de ces principaux partis pris est la présence récurrente de séquences oniriques à l'érotisme débridé et aux choix plus ou moins appropriés (l'urine, même ci elle finit par être assimilée à l'or, n'était pas forcément du meilleur goût), qui privilégient ostensiblement le "symbole" visuel au jeu de dialogues trahissant les enjeux. Malheureusement, on peut difficilement ne pas faire la comparaison avec les précédents travaux giallesques, et ne pas voir la récurrence des partis pris redondants, qui s'ils changent de forme en s'aventurant dans un nouveau genre, ne renouvèlent pas grand chose au genre exploité, et fonctionnent essentiellement sur le visuel. On peut raisonner alors globalement sur le film, un petit divertissement à l'ancienne sans grande inventivité (Bruno admet que le livre de base est assez classique et qu'ils ont considérablement développé plusieurs personnages) qui dans la forme est retravaillé par des maniaques du détail visuel. Un seul exemple suffit pour comprendre les limites de ce couple : le choix du découpage selon l'horloge. Constamment, le film coupe pendant une seconde pour indiquer l'heure. Et cela se produit à chaque fois que l'on quitte un personnage (et donc un lieu) pour aller sur un autre. On se retrouve donc très souvent à faire des mini-flash back pour suivre la réaction de tous à tel ou tel évènement. Dans l'envie de montrer ce que tout le monde fait, on effectue sans arrêt des sauts dans le temps et dans l'espace. La technique pourrait être efficace (elle est d'ailleurs nécessaire à plusieurs reprises, et parvient à donner une excellente lisibilité à la première fusillade), mais elle ne peut s'empêcher de sombrer dans la lourdeur, car au lancement d'une scène d'action, elle entrecoupe au moins deux ou trois fois la scène en créant des ruptures. La séquence des feux d'artifice illustre très bien ce problème, qui culmine dans cette séquence. Pour enchaîner direct sur l'un des plus beaux plans du film (la silhouette sur le feu d'artifice, un des quelques plans qui ont nécessité un traitement numérique). C'est et cela sera toujours le problème du couple Cattet/Forzani : l'obstination dans le fétichisme du détail et du partis pris de l'éclatement narratif qui finit toujours par basculer dans la lourdeur et l'abus du concept (Satoshi Kon est un de leurs maîtres à penser, et le parti pris "schizophrène" de ce dernier à tendance ici à disperser le film autant qu'à l'enrichir). Thriller assez distendu (l'heure et demie à l'air d'en durer trois) qui cultive l'esthétique (plusieurs scènes visuellement très marquantes) et un érotisme très prononcé (un peu trop à mon goût, on finit vraiment par mettre le casting féminin régulièrement trop à nu), Laissez bronzer les cadavres se retrouve malheureusement dans la case où on l'attendait, à savoir un film de genre assez peu dynamique ou efficace en face de ses concurrents, mais atypique dans son traitement et bien plus riche visuellement que ce qu'on a l'habitude de voir. Certains excusent tout pour cette audace visuelle (et ce fétichisme exacerbé, je suis client aussi de ses esthétiques, qui ne sont pas tout à fait pertinentes ici à mon goût), qui n'aide pas sur le terrain de l'efficacité. Laissez bronzer les cadavres demeurera donc un film d'initié, trop lourd pour devenir populaire et trop obstiné pour être dépourvu d'excellentes idées. Si on prédisait la fin du néo-Giallo après l'étrange couleur, celui-ci se maintient en changeant d'imagerie, mais pas de méthode. Le prochain projet du couple devient alors un coup de poker, puisqu'il s'agit d'un film animation (oui, c'est de l'exclusif ici dans ma critique ^^) dans la veine des Pinku Eiga (dont Belladona est l'un des emblèmes). Changement des équipes, changement de forme, mais changement de méthode ? Quand la méthode consiste à délaisser une base scénaristique pour privilégier des idées visuelles (malheureusement à outrance), jusqu'où la technique peut tenir ? On sera de toute façon au rendez vous lors de la sortie, et on espèrera y rencontrer cette fois ci Hélène, car il me faudrait la seconde dédicace.

Voracinéphile
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le 23 déc. 2017

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Voracinéphile

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