Et bien les amis, ce sera sans moi.

Ce film est facile et paresseux. L'auteur nous invite à partager la vie d'une famille dont le mari est un officier SS avec une certaine importance ; petite particularité, leur maison se situe à côté du lieu de travail du mari, un camp de concentration un peu connu. L'on s'intéresse donc au tracas ordinaire d'une femme qui a tout pour déplaire.

Le concept est intéressant, très intéressant même. Mais passé ce concept, il ne se passe plus rien ; il y a peut-être deux scènes clés qui suivent la mise en place du concept : la grand-mère qui fuit la maison et la femme qui annonce à son mari qu'elle ne veut pas le suivre dans sa mutation. Le film aurait donc pu n'être qu'un court-métrage. Parce qu'il ne se passe rien d'autre. Pas vraiment de conflits, pas beaucoup de situations mémorables sur toute la longueur.

Il y avait matière, avec l'arrivée de la mère, confronter deux points de vue, mais la mère ne devient intéressante que lors de sa fuite, fuite qui n'est pas suivie, ce qui signifie que cette grande idée est aussi vite abandonnée qu'elle est abordée. Il y a bien ce moment où elle rentre dans la maison parce qu'elle n'en peut plus des odeurs et de la vue apocalyptique depuis le jardin, mais ça sert juste à préparer sa fuite deux plans plus tard, sans que ça ne soit plus développé. La confrontation avec le mari est vraiment le moment le plus intense du film, celui où les personnages se révèlent le plus, d'un côté un mari fuyant et de l'autre une femme hautement égoïste ; sa cruauté aussi est intéressante, mais elle n'est exploitée qu'au travers de deux ou trois brouilles avec les servantes.

Un gros problème du film, c'est que l'auteur ne semble pas apprécier ses personnages. Pour moi, un bon auteur doit apprécier ses personnages, aussi tordus soient-ils, afin de leur faire vivre une histoire, et ce peu importe que ce soit un tueur en série, un officier SS ou une gentil petite fille bien polie. Ici, on a l'impression qu'il fait tout pour que le couple ne soit pas aimé : distanciation extrême ; pas de véritable immersion dans la vie de tous les jours, on observe simplement ; pas de conflits puisque les conflits sont le moteur de l'identification. Mais quel intérêt à faire cela si ce n'est caresser le spectateur dans le sens du poil. En théorie, une grande partie du public qui ira voir le film n'a pas de sympathie pour le mouvement nazi. En proposant un film qui ne fait que rassurer, conforter le spectateur dans ses convictions, l'auteur ne prend pas de risque.

Quel film cela aurait été si l'auteur avait choisi de nous immerger dans cette famille, de montrer un père aimant envers sa famille, drôle avec ses amis, juste avec ses soldats. Cruels avec les prisonniers, égoïste dans ses choix, peut-être faible face à une épouse dominante. Qui doit aussi régler des conflits, sociaux, professionnels, personnels. De même pour la femme, la montrer cruelle et abusive envers ses domestiques, égoïste, manipulatrice, mais ayant aussi des problèmes (par exemple une mère pas très enthousiaste par les réformes du pays). Tout ça pour les rendre attachants. Là, il y aurait eu un vrai challenge à la fois pour l'auteur mais aussi pour le spectateur qui se serait alors retrouvé dans une situation très délicate : celle de suivre un personnage sympathique mais horrible en même temps. Là il y aurait eu un inconfort, un vrai, parce que le spectateur se serait trouvé piégé dans ses sentiments. Il y aurait eu une réflexion sur l'être humain, plutôt que de diaboliser et déshumaniser la figure SS. Parce que ces instants de tous les jours sont tellement banals par rapport à l'horreur entendue derrière le mur, que forcément, on ne parvient jamais à se dire que c'est un quotidien normal. Il y a un instant intéressant que j'ai oublié de citer : ces gosses qui "jouent", qui n'ont pas l'air très heureux, normal avec ce qu'ils entendent parfois depuis leur chambre ou leur jardin. Et la mère qui trouve que c'est l'endroit idéal pour l'épanouissement familial. Mais ça manque de développement, d'ailleurs une fois que l'idée est balancée, on n'y reviendra plus.

La mise en scène ne m'a pas non plus séduit. En soi, c'est loin d'être vilain : les placements de caméra sont bien pensés, le découpage est intéressant, le montage est un peu lent parfois, mais il y a certaines séquences bien dynamiques. Quand on suit les personnages. Mais est-ce forcément approprié ? Je ne pense pas. On cite ma réalisatrice Ackermann et son filme Jeanne Dielmann pour la manière de suivre les personnages dans la maison, et c'est vrai qu'il y a de ça. Mais Ackermann propose une vraie immersion dans la vie de cette femme, alors qu'ici, le réalisateur interdit qui que ce soit de trop s'approcher. C'est donc contradictoire et contre-productif. Parce que quand tout d'un coup on suit une servante passer d'une pièce à l'autre, certes cela fait son petit effet, mais ça reste un effet de style. De temps à autres on suit l'un ou l'autre personnage de la sorte, mais principalement le réalisateur filme de loin, ce sont deux grammaires différentes qui racontent des choses différentes ; et autant la distanciation me paraît adéquate avec les intentions narratives de l'auteur autant ces "courses-poursuites" dans la maison me paraissent à côté de la plaque. De plus Ackermann est bien plus radicale quand elle utilise ce procédé, elle ne se contente de pas de faire ça une fois de temps en temps pour faire stylisé. Alors qu'ici, c'est de la pure esbrouffe.

Les acteurs sont bons mais n'ont pas beaucoup l'occasion de briller de par cette narration et cette façon de filmer. Mais lorsqu'ils en ont l'occasion, alors il y vont à fond. Les décors sont bien choisis, les costumes et les accessoires aident à valider la reconstitution. Il y a beaucoup de soin dans la photographie, c'est assez joli à regarder, là aussi d'ailleurs c'est contradictoire, mais pas inintéressant, parce que justement, faire de ce lieu un endroit féérique, c'est adopter le point de vue des personnages, chose que narrativement, l'auteur se refuse. Et le film aurait été franchement pénible à regarder avec une caméra épaule et une image grise.

Enfin il y a cette distorsion temporelle et géographique à la fin. J'ai lu plusieurs choses à ce sujet, et j'aurais été d'accord si la distorsion n'avait été que temporelle. Avoir un aperçu de l'avenir, démontrer ainsi l'inanité de leurs actions présentes, c'est fort. Mais il y a aussi cette distorsion géographique qui fait que l'auteur fait juste ce qu'il veut quand il veut, et en plus je ne sais pas, mais je trouve que c'est un peu ambigu pour le personnage ; après, les rêves et les visions on les comprend même si il y a toutes ces distorsions, mais ça aurait été plus fort qu'il ait cette vision chez lui directement, à côté du camp, plutôt que loin de là. Et puis évidemment, le film se termine, parce que l'auteur n'a pas envie de développer quoi que ce soit, il sait que ça va conforter le spectateur dans ses opinions. Fastouche.

Bref, pas terrible ce film : le scénario est faiblement développé, comporte trop de choix faciles, convenus ; la mise en scène est un peu plus osée mais les choix me paraissent mauvais. En gros, le film ne maltraite jamais son spectateur au contraire, et je ne vois vraiment pas l'intérêt de faire un film anti-nazi destiné à un public déjà anti-nazi. Pour moi l'art doit permettre une réflexion, une remise en question du spectateur. Ou alors faut faire un film pop corn avec Chuck Norris et là tous les défauts pré-cités ont moins d'importance.

PS : entre Barbie, Oppenheimer et ce Zone of Interest, je ne sais vraiment plus quoi penser des films contemporains adorés par la critique ; les gens veulent simplement être caressés dans le sens du poil, ils veulent qu'on leur dise ce qu'ils veulent entendre et cela conduit à un réel appauvrissement du cinéma. C'est terrible. Heureusement il reste les films oubliés, les trucs dont tout le monde se fout et où des auteurs peuvent exprimer des choses intéressantes, plus nuancées, plus difficiles.

Fatpooper
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le 14 mai 2024

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