En sortant de la séance, j'ai pu entendre le qualificatif "lunaire". Rien ne me parait plus faux que cette description. Ce film n'a rien de lunaire, il n'est en aucun point déconnecté ou irréel, il est justement violemment ancré dans notre réalité. C'est en cela qu'il est si heurtant, si violent : en plus de nous rappeler une page sombre de notre histoire, il nous raconte la notre aujourd'hui. Celle d'individus confrontés à la violence et l'horreur, l'acceptant, la tolérant et vivant avec.

L'histoire est simple, on suit la vie la famille du commandant du funeste camp d'extermination d'Auschwitz Birkenau. Elle réside dans une propriété de campagne avec son grand jardin à l'allure d'un petit paradis. La mère de famille le dit si bien, il s'agit de leur "Lebensraum" à eux. Elle en est tellement heureuse que lorsque son mari est muté ailleurs, elle refuse de quitter l'endroit ou ses enfants son si bien installés. Le hic est pourtant présent dès le départ, cette jolie situation est directement accolée au mur d'enceinte du camp, on entend tout au long du film les cris les pleurs les coup de fusils. Pourtant, on semble bien seul à ressentir un malaise : toute la famille vie comme si de n'était. Que ce soit les enfants ou les parents, ils ne semblent pas spécialement zélés, si on excepte le commandant qui est bien fou et semble avoir une passion pour le massacre, mais sont aussi tout à fait au courant de l'horreur ayant lieu à deux pas de chez eux, avec cette cheminée qui fonctionne en continue, illuminant même, tel un soleil macabre, le camp de nuit. Seule la grand-mère ne tient pas face à cette horreur, alors qu'elle la cautionne et en rie de bon cœur ; la proximité semble être l'élément insupportable qui force son départ précipité de la maisonnette.

Ce bref résumé exhaustif du film explique une partie du malaise, cette ambivalence entres deux mondes : celles des déportés qu'on entend mais ne voit jamais (à part comme domestiques de seconde zone et uniquement hors du champ de vision des protagonistes), et celle de cette famille nationale-socialiste idéale et idyllique. Une autre grande partie de ce malaise trouve ses racines dans la mise en scène magistrale de ce film. Débutant par un fond noir de plusieurs minutes avec un chant crié, presque sortant des tréfond de la terre, le reste du film est une succession de tableaux, avec dans la plupart le petit paradis en premier plan et l'enfer du camp au second. Ces peintures florales continuent d'être interrompues par des coupures, colorés et chantées, tout au long du film, accentuant encore plus le malaise, déjà bien trop présent par l'image et des dialogues surréalistes, ou le juif n'est plus qu'un animal déshumanisé.

Pour autant, ce n'est pas un simple film sur l'horreur nazi. Il s'agit également d'une allégorie sur nous, occidentaux qui nous accommodant si facilement de la violence et des massacres. Les tolérant, les normalisant. Aujourd'hui en 2024, date de sortie de ce film, des populations subissent des massacres, la violence partout autour du globe, en Asie comme au proche orient, aux portes de l'Europe comme en Amérique latine. Qu'on l'accepte sciemment, soit par relativisme culturel, en considérant qu'on ne peut pas juger d'autres cultures avec d'autres mœurs, soit par hypocrisie, en fuyant le problème ou en le minimisant. Ce film est une réussite autant sur sa forme que sur son fond, sur l'image qu'il nous projette de notre prétendue humanité.

Althyn
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le 18 févr. 2024

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