La zone d'intêret, où comment nous présenter les plus horribles atrocités de l’humanité à travers le point de vue des tortionnaires avec leurs problèmes quotidien. Jean-luc Godard l’avait mentionné en août 1963. C’est aujourd’hui que Jonathan Glazer le réalise.

Mais la nuance est là, on ne nous présente pas les camps de concentration, on les entend.

Les Höss sont exposés comme une famille on ne peut plus classiques. Les introduire de cette manière met d'emblée le spectateur en position de malaise en raison de l’antithèse entre eux et leur environnement. Le film s’ouvre sur une famille allemande, profitant de l’instant au bord d’un lac, le père jouant avec ses enfants dans un cadre paisible et nature. C’est dès leur retour à leur domicile qu’on perçoit réellement l’environnement dans lequel ils vivent et le contraste mis en place entre leur cocon et la réalité présente derrière le mur qui les sépare du monde extérieur. Tous sont installés ici et vivent dans cette maison aux allures charmantes, et rien les ferait partir. Ils se construisent chacun leur coin de paradis juxtaposé à l’enfer qui rôde autour d’eux. Au-dessus de la barrière et des barbelés on entrevoit les toits et cheminées, invisibles à leur hauteur.

Rudolf part tous les matins au travail avant de revenir le soir retrouver sa famille, lui qui fait des réunions avec des ingénieurs, pour augmenter son profit, améliorer le rendement des fours, lui qui banalise ces évènements, banalise le mal. Hedwig quant à elle reste à la maison, invitant des amies à venir boire le café, tout en prenant soin de son potager, qui croît grâce aux cendres des cheminées, symbole de leur indifférence. Les femmes de ménages et jardiniers juifs, qui eux sont réduits à être de simples objets marchant sur un fil rouge, où le moindre faux pas serait impardonnable. Cette famille est complètement absente et détachée des évènements derrière leur jardin. D’ailleurs, ils ne mentionneront et n’iront jamais voir ce qui s’y passe. C’est cette froideur constante qui nous met dans cette position inconfortable. A côté de ça, la grand-mère qui nous est présentée comme un tirant, fera face au réel et fuira aussitôt cet.

Le travail sonore réalisé, qui joue un rôle essentiel à l’immersion du spectateur dans cet enfer, où les cris des gardes, des coups de fusils, des pleurs et des hurlements seront notre seul contact avec le monde extérieur, où nous sommes au même niveau que la famille. Toute la puissance de l’horreur est suggérée à travers la musique puissante de Mica Levi. Cependant en utilisant ce hors-champs, l’approche de Glazer devient problématique et perd malheureusement de son impact. Cette idée perd progressivement de sa force et par la suite, le film semble être conscient de sa propre manipulation. Cette utilisation excessive affaiblit l’effet attendu et créé une certaine distance entre l’horreur et le spectateur. On a parfois ce sentiment que le réalisateur, à travers sa mise en scène, souhaite nous hurler aux oreilles « Regarde l’horreur présente à derrière ces murs, pourtant tu ne la vois pas ». La mise en scène accentue cet effet lors de la première partie du film. Cette idée donne l’impression d’avoir le point de vue d’une caméra de surveillance, mais créé une fois de plus une barrière avec le spectateur. C'est probablement un effet de style voulu par Glazer, mais qui malheureusement semble être une faute de goût desservant son propos.

Le final est cependant grandiose, visualiser Rudolph descendre des escaliers pourrait être interprété de nombreuses manières, où il retournerait dans les bas fond de l’humanité et recracherait à travers ce vomit qui refuse de sortir de son corps toutes les horreurs commises ces dernières années. Puis il regarde, au fond du couloir une lueur blanche qui nous mène à aujourd’hui, dans les musées où on expose toutes les atrocités qui se sont déroulées sur les lieux, et on observe le personnel préparer les lieux avant l’ouverture. Pendant dix minutes on est scotchés, en silence face à cette scène puissante. Son impact cette fois-ci fonctionne, et revenir sur Rudolph, qui ensuite redescend dans les enfers ne nous laisse pas de marbre.

Captaincha
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le 2 févr. 2024

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Alexy Cha

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