L’enfer de la Shoah vu sous le prisme d’une famille nazie vivant juste à côté d’Auschwitz. Je n’avais pas vu ce sujet traité au cinéma depuis le très hollywoodien, mais très émouvant Gamin au Pyjama Rayé, sorti en 2009. Or, si dans ce film la proximité physique entre la sphère familiale et le camp de concentration était mise de côté par le scénario, Jonathan Glazer lui, choisit d’en faire le cœur de son long-métrage.
Le réalisateur opte ainsi pour un dispositif filmique proche de la télé-réalité : image parfaitement nette éclairée en lumière naturelle, recours au 16/9, succession de plans larges constamment fixes… Tous les partis pris de mise en scène donnent l’impression d’observer le quotidien de cette famille à travers des caméras de surveillance et confèrent donc au film, une saisissante sensation de réalisme. La petite vie paisible de ces sales bourges, s’amusant tranquillement dans leur jardin avec le camp de la mort dans leur champ de vision, n’en devient alors que plus révoltante. Surtout lorsque le son de leurs futiles pérégrinations se mêle sans cesse aux aboiements des chiens de garde, aux coups de fusils et autres cris de douleurs que l’on entend très distinctement au loin même si, comme les protagonistes, nous finissions nous-mêmes par tristement s’y accoutumer.
Avec une telle radicalité formelle, La Zone d’Intérêts aurait pu aisément devenir l’un des meilleurs films de la décennie. Malheureusement, une fois passée l’exceptionnelle exposition de l’univers, le film commence gentiment à s’essouffler. Et Glazer aura beau bricolé un semblant d’intrigue avec cette histoire de mutation vers un autre camp, ou régulièrement brisé son dispositif par des séquences plus oniriques ou des effets de style sonores grossiers dont j’ai toujours du mal à comprendre le but ; cela ne suffit pas à renouveler notre intérêt pour une œuvre qui aurait mérité d’être drastiquement raccourcie.
Reste la proposition de départ. La justesse d’interprétation des comédiens avec évidemment Sandra Huller en première ligne. L’hallucinant travail de sound-design et bien sûr, ce brusque retour dans le présent en fin de métrage, faisant malicieusement le lien entre ceux qui travaillaient à Auschwitz dans les années 40 et ceux qui travaillent aujourd’hui, dans ce lieu chargé d’histoire, à nettoyer les cellules de détenus comme on récurerait les chiottes d'un supermarché, sans aucune émotion apparente. Par cette ultime pirouette, le réalisateur nous rappelle à quel point il est facile de désacraliser la teneur d’un lieu et d’en faire un espace de travail comme un autre.
Aussi, aux détracteurs du film qui rejetteraient la notion même de « banalisation du mal », sachez que celle-ci est bel et bien présente tout autour de nous : dans ces cargos de migrants qu’on laisse couler en mer à quelques mètres de nos côtes, dans ces abattoirs où l’on exécute des animaux de manière effroyable, dans ces rues de métropoles où on laisse de pauvres sans abris mourir de froid… Glazer ne fait que représenter l’une d’entre-elles, et peut-être qu’en voyant ce que l’on banalisait autrefois, cela peut nous faire prendre conscience de ce que l’on banalise aujourd’hui.