Il est des perles. De fines perles que l'on goûte lors d'un détour impromptu, une surprise sans but, sans finalité. Des perles que l'on découvre sans qu'on s'y attende, des joyaux d'or, des pépites. La vie selon Agfa est l'une de ces perles, si fine au milieu du monde qu'elle y est fragile, imperceptible, minuscule. D'une rareté à couper le souffle, elle balance sa vie comme un coup de feu, et ça chavire, et tout chavire.
L'oeuvre est le simple témoignage d'une existence Israélienne, dans une société où la liberté y est flagrante, étonnante, pétillante de vie, humaine. Simplement humaine, d'une indolence, insolence rare, le film vrille, ne cesse de briller, d'exister, d'enlever ces carcans les uns après les autres.


C'est une pépite d'or, qui ne demande rien à personne, incognito dans sa vie de film, et pourtant qui éclate, imperceptiblement. C'est un vol de papillon, l'effet papillon qui bascule, et trébuche. Ce sont le plus souvent ces joyaux sans prétention qui créent l'ébranlement dans le cœur du spectateur. Ce sont le plus souvent ces fissures, qui, quasiment invisibles dans leur solitude, empêtrées parmi l’enchevêtrement de culture qui leur écrase l’existence, provoquent l'orage, et détonnent.


Le film est une longue nuit, une parenthèse feutrée dans l'existence d'un bar, de personnages qui agissent, se bousculent, vivent les uns sur les autres, à la manière d'un film de Robert Altman, ou bien alors d'une Nouvelle Vague s’apparentant à Shadows de Cassavetes. C'est cette musique, omniprésente, ce brouhaha de vie, ce fracas humain.


C'est un bar comme il en existe des centaines, cette chanson qui arrive en plein milieu comme une parenthèse feutrée, langoureuse, enchantée : cet homme alors, qui chante au piano des paroles que l'on ne comprend pas, à une femme aux cheveux courts qui regarde, les yeux embués de larmes. Les mots dévalent comme un courant d'air, viennent se poser sur nos oreilles, et nous laissent dans la torpeur d'une scène interminable, où le temps semble dissout, se distord, s'allonge.


La vie selon Agfa est un film sans temps. A la manière de la Nouvelle Vague qui se concentre sur le minuscule des vies, ici le film est sans convenance, il étire le temps, afin de se concentrer corps et âme sur l’ambiance d'un petit café Israélien : c'est un presque huit-clos où les gens se côtoient le temps d'une nuit, de plusieurs nuits. C'est une dérive qui dure, un chant incessant qui jamais ne part, une goutte d'eau dans l'univers intersidéral du cinéma.
C'est une pépite parmi des pépites, parmi des chef d’œuvres formant la source même d'une globalité, d'un tout, plongée dans la perdition de l'histoire du cinéma, où le cours du temps s'étire, se fait infini.


Lorsqu’à la fin du film, nous réalisons que le réalisateur n'est rien d'autre que ce jeune homme gringalet et benêt, qui jouait dans Promenade avec l'amour et la mort de John Huston, aux côtés de la tendre et jeune Angelica Huston, nos yeux ont du mal à se remettre de leur croyance.


Disponible sur Youtube, ici.

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le 12 juin 2016

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Lunette

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