La mort dans la peau

Quel plaisir d’être encore surpris au cinéma ! Globalement, les cinéphiles et les cinéphages savent à quoi s’attendre en allant voir un film. On sait qu’on va se prendre une claque visuelle avec Dune, on sait qu’on va trouver Cocorico affligeant, on sait que Godzilla x Kong va être un dégueuli de CGI immonde… Pourtant, il y a toujours quelques films que l’on n’attendait pas et qui se révèlent de vraies pépites cinématographiques !

La vie rêvée de Miss Fran fait pour moi partie de cette catégorie, aux côtés d’autres belles découvertes de ce début d’année comme Les chambres rouges ou Vampire humaniste cherche suicidaire consentant par exemple. Des petits films (Miss Fran a à peine dépassé les 20 000 entrées au box-office français) que l’on n’avait pas vu venir et qu’on aurait aisément raté au cinéma. Mais voilà, on s’est rendu en salle et l’on en est très content : la surprise valait le déplacement !

Pourtant, sur le papier, le film n’avait pas l’air excitant. Fran est une jeune femme solitaire et marginale, à la timidité maladive. Elle est employée de bureau dans une entreprise portuaire sans charme, dans une ville sans charme. Sa vie est millimétrée pour éviter toute interaction sociale ; ses seuls écarts viennent de ses rêveries et des vies qu’elle s’invente. Car oui, sous ses airs coincés, Fran a une imagination débordante.

Or, son monde bien rangé est bousculé le jour où Robert, un homme sympathique et expansif, rejoint l’équipe de travail. Une relation ambigüe et pleine de charme va progressivement se nouer entre eux.

Par bien des aspects, on est tous un peu Miss Fran. On a peur de s’abandonner au regard des autres, peur du fracas du monde. On s’échappe en s’imaginant des vies alternatives.

Je ne suis pas un grand fan du titre français, mais le titre original (Sometimes I Think About Dying) ne reflète pas tout à fait le film non plus : le film n'est pas du tout morbide. Certes, la mort est omniprésente dans la tête de Miss Fran. Elle regarde par exemple par la fenêtre et s’imagine pendue à une grue… Pourtant, le film a quelque chose de lumineux, de presque joyeux et drôle. L’humour (souvent un humour noir assez incisif, tendant vers l’absurde) est bien présent tout au long du film. On ne s'en aperçoit pas tout de suite, mais on pourrait même dire qu’il s’agit du fil conducteur du long métrage.

Le point d’orgue du film est à mon sens la séquence de Murder Party chez des amis de Robert. Une Murder Party où Fran est, bizarrement, totalement à l’ais : elle qui imagine toujours 100 façons de se tuer !

Le film n’aurait pas été ce qu’il est sans l’immense prestation de Daisy Ridley (décidément l'une de mes actrices préférées du moment), qui montre que sa palette de jeu ne s’arrête pas à son personnage de Rey dans la dernière trilogie Star Wars. Chose plutôt marrante, l’actrice est à l’affiche de deux sorties sur la cette même semaine de janvier 2024. D’un côté Miss Fran donc, et de l’autre le DTV sur Amazon Prime La fille du roi des marais. Si le premier est nettement mieux que le second, Daisy Ridley incarne un peu le même genre de personnage, une jeune femme s’étant construit une carapace hermétique pour s’affranchir du monde qui l’entoure.

Dans Miss Fran, ce sont les infimes variations d’expression sur son visage en apparence impassible qui révèlent au spectateur toute la subtilité du personnage.

Réalisé par la cinéaste américaine Rachel Lambert, dont c’est le 3e film (mais le premier à être véritablement sorti en France), Miss Fran est caricaturalement ce qu’on pourrait appeler un film Sundance (le film a d’ailleurs été présenté au festival en 2023) : ces petits films américains indépendants, souvent d’une grande originalité côté scénario et réalisation, mais qui peinent à exister sur la scène internationale, écrasés par les mastodontes hollywoodiens.

Un vrai coup de cœur !