Nicloux Ni Vices La Tour Tient Debout

Avec ses premiers polars décalés et sombres tels que Le Poulpe, Une affaire Privée ou Cette Femme là on pouvait croire que le réalisateur, romancier et scénariste que Guillaume Nicloux avait trouvé son univers. Pourtant au fil du temps le réalisateur n'a cessé de s'ouvrir et se réinventer en allant vers le drame et la comédie et en titillant le fantastique. Cette fois ci son dernier film La Tour vient s'ancrer totalement dans le cinéma de genre fantastique et horrifique tout en le posant uniquement comme un postulat de départ, comme un aveu et un véritable parti pris que l'élément fantastique a finalement moins d'importance que ce qu'il va révéler dans les comportements humains qui vont y être confrontés.


La Tour c'est donc l'histoire d'une tour HLM dans une banlieue quelconque , un matin l'édifice se retrouve entouré d'une immense masse noire et opaque infranchissable car dévorant tout ce qui s'y aventure. Coupés du monde, repliés sur eux mêmes, les habitants s'organisent pour la survie en opérant un inquiétant replis communautaire.


A la fois intelligent et frustrant l'aspect fantastique ne sera pas le moteur du film de Guillaume Nicloux qui n'en fera pas le centre névralgique de son récit, en gros cette masse noire est là et un point c'est tout. Si vous attendez une exploration, une explication, des créatures cachées dans l'obscurité vous serez fatalement frustrés voir déçus car l'élément fantastique ne fonctionne que de manière symbolique et il est anti-spectaculaire au possible. Alors que tant d'autres peine à rendre crédible ce qu'ils veulent absolument nous montrer le réalisateur et scénariste choisit le vide, le rien et l'opacité ce qui est finalement assez malin de sa part. Cette masse noire vous pouvez finalement y projeter tout ce que vous voulez et elle renvoie à la peur de l'inconnu, du néant, de la mort et de l'obscurité. Mais de manière plus métaphorique elle va symboliser ici l'enfermement, l'absence d'avenir, le confinement, l'entre soit, l'exclusion du monde extérieur et la fin de tout espoir de simplement sortir et s’émanciper de sa condition. Enfermés sur eux mêmes, sans espoirs d'avenir, regroupés en promiscuité les gens ne se découvrent pas des trésors d'entraide et de générosité pour survivre tous ensemble. Bien au contraire mués par l'individualisme ils se regroupent en clans et communautés recherchant celle la plus à même de leur permettre de survivre face à l'inconnu. Le film de Guillaume Nicloux se révèle ainsi d'une grande noirceur et d'une froide acuité qui ne fera pas d'exception au moment de sonder les tréfonds de l'humanité. Replis communautaire, défiance ethnique, homophobie, misogynie latente, persécution des plus faible, vols, violences, intimidations … la banlieue n'est pas rose, ni même morose elle est ici carrément mortifère. Si vous êtes un esprit cartésien qui aime tout comprendre et analyser La Tour ne devrait pas pleinement vous convaincre, il faudra ainsi accepter que les problèmes de nourritures soient solutionnés par l'élevage à des fins de consommation de quelques animaux de compagnie et que le récit s'accompagne d'ellipse temporelles de parfois plusieurs années. Oui bien sûr la mécanique du scénario n'est pas imparable en matière de crédibilité mais Guillaume Nicloux nous plonge dans une spirale de violence suffisamment tordue pour en oublier quelques largesses. La grande force du film réside dans ce constat accablant d'une humanité qui en vase clos et confronté à une situation extrême finira toujours par se bouffer entre elle. Sans recours à une grande violence graphique extrême le film distille une sensation assez glauque et désespéré de fin du monde dans lequel la bête finira par dévorer ses propres enfants.


Le film s'appuie sur un très bon casting composé de visages peu connus ce qui facilite une identification immédiate aux différents personnages malgré la multitude de caractères à l'écran. Si le rappeur Hatik révélé par la série Validé fait un peu figure de tête d'affiche il sera loin d'être le protagoniste principal du récit, ni l'acteur qui retiendra le plus notre attention. Le problème du film vient peut être de cette multiplication de personnages auxquels on aura peu envie de s'attacher et de ce sentiment que parfois tout va un peu trop vite dans un récit à la fois dense et trop étiré puisqu'il concentre cinq années en 80 minutes. Même si le film possède bel et bien une héroïne en la personne de Assitan (Angèle Mac) il est difficile de s'accrocher au moindre personnage puisque le film ne cesse de rebondir entre des protagonistes souvent détestables comme dans une perpétuelle fuite en avant. Le film donne parfois ce sentiment un peu froid d'un entomologiste regardant de haut le comportements d'insectes prisonniers dans un labyrinthe. Il faudra aussi composer avec quelques facilités scénaristiques un peu grossières comme le coup du gosse qui se précipite sur la lance mais dans l'ensemble La Tour tient la route dans ce qu'il nous raconte.


La Tour est une belle petite proposition de fantastique à la française , un film qui pose son postulat surnaturel uniquement comme moteur à l'exploration de la noirceur humaine. C'est frustrant parfois mais c'est plutôt malin et pertinent.

freddyK
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le 22 mai 2023

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