La Soufrière
7.5
La Soufrière

Documentaire de Werner Herzog (1977)

Herzog réalise encore ce qui lui est profondément personnel... ce que l'on oserait croire une "descente aux enfers" et qui se trouve être finalement un "cheminement religieux universel"... ni triste ni joyeux... mélancolique.
Il me semble malgré tout que, de ces œuvres, celle-ci est à la fois la plus dense et la plus synthétique.


Mais cela a déjà commencé ? Taisons nous, le conteur nous parle. Ils nous dit des "faits", des "statistiques" : ça a l'air vraisemblable. Il fallut bien savoir faire du vraisemblable pour aussi savoir faire l'inverse : du cinéma.
Mais cela continue déjà, encore... voilà ! Les formalités sont passés. On tourne sur le port, et on s'envole : Rachmaninov s'élance sur son piano... c'est le voyage. Les panoramiques ascendants sont passés, désormais, c'est le vol.


Herzog, comme il sait si bien le faire, nous fait alors révéler notre peur la plus profonde, celle de se rendre compte de l'éternité et du néant, celle calme et belle, celle qui, de crainte et de tremblement, fait les héros.


Centralisé sur le volcan, Dieu monolithique aux esquisses distantes et romantiques, le paysage devenu personnage, Herzog dépeint ensuite ceux qui restent : des fous (des gens naturels), qui baragouinent, qui gesticulent, aussi divins que bestiales : les héros.
Chacun à leur façon, par leur pathétique, en deviennent héroïque : osant, à l'infini, essayer de se persuader, ils se disent "je n'ai pas peur" : leur fuite est l'éternel, la foi ("la vie, comme la mort, est éternelle.") : ils se sont trouvés un rôle, ont mélangé leur personnage et leur personne : la vie est un jeu, c'est ce pourquoi ils y jouent de toute leur sincérité : qu'ont ils à perdre, puisqu'ils n'ont jamais rien gagné : ceux-là qui ne sont point poète maudit ou paria, mais "un peu de tous le monde" : l'un est un héros de la foi, l'autre est un héros tragique.
Et nous ? Pour être libre, il nous faut trancher.


Soyons donc absurde. On ne connaît la mort que mort. Au fond, la seul chose que l'on attend, c'est ce que l'on craint, la fin. Mais la catastrophe n'a jamais lieu, au final, au fond : hormis dans les contes reniées du présent que l'on contemple, après s'être perdu dans la brume (Martinique, 1902 : en noir et blanc et par de fixes photos). Ainsi, la mort ne peut être filmé : l'art, c'est la vie.
Et le sacré se forme en un nuage, bercé par la musique car, merci, Herzog sait aussi laisser mélanger les arts... et ne pas toujours bavarder, il sait laisser le silence à notre imaginaire, tantôt danser dans les rues à se laisser emporter sur les crescendos de Rachmaninov, tantôt filmer des photos comme des peintures.


Ainsi, au fond, je ne connais jamais de point aux contes mystérieux (sans être psychédélique) de Herzog, un aller dans les nuages, un retour dans les nuages : pas de fin, pas de début, juste de l'ouverture. Et la réalité est surréaliste : Herzog se tire une balle dans le pied dans sa dernière tirade, et tire aussi une balle à son spectacteur qu'il sait autant mépriser que aimer ; "Maintenant, ce sera un documentaire sur une catastrophe inévitable... qui ne s'est jamais produite.".


Ahah !

Asendre
9
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le 28 déc. 2018

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Asendre

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