Alexandre, brillant architecte ayant perdu la flamme, part avec sa femme psychanalyste, Aliénor, en Italie afin de prendre du recul sur son travail, mais également sur son couple.
A Stresa, sur les rives du lac Majeur, ils font la rencontre d’un autre couple, un jeune étudiant architecte, Goffredo, et sa sœur sujette à de fréquents malaises, Lavinia.
Aliénor choisit alors de rester aux côtés de Lavinia alors que Goffredo accompagne Alexandre dans un périple vers Rome, ce dernier désirant reprendre un projet qu'il avait longtemps mis de côté, la rédaction d’un ouvrage consacré à l’architecte baroque Borromini.


Au premier abord, il y a quelque chose de très schématique dans l’intrigue d’Eugène Green, de très géométrique, de très carré. 2+2 personnages, un problème et sa résolution, un jeu d’opposition permanent,…
On pourrait en dire autant de la mise en scène, de la façon de découper les plans, de les cadrer, etc. La forme et le fond sont ainsi étroitement liés et toutes les pistes narratives se recoupent, se rejoignent, s'imbriquent, avec science. Pourtant, si les équations semblent se résoudre, les boucles se refermer, la Sapienza est fait de mille choses, et surtout d'un éclat subtil, qui brisent son apparente rigidité et son dispositif mathématique.
Le film tourne autour d’un motif essentiel, qui n’est pas spécialement celui de la sapience (le savoir menant à la sagesse) que recherchent les personnages, mais qui est davantage à trouver dans l’explication que fait Goffredo de l’architecture. Pour lui, le travail de l’architecte c’est créer de l’espace, mais surtout, c’est remplir le vide avec un réceptacle, un bâtiment, pouvant laisser pénétrer la lumière.
Tout ce que raconte le film, et ce qu’il montre, est l’illustration de cette idée. C’est bien l’apparition de cette lumière qui va permettre de briser les blocs, de rompre les mécanismes presque trop évidents, de complexifier sa dichotomie et ses oppositions trop nettes : avant / après, Italie-beau / Paris-banlieue-laid, artistique / scientifique, mystique / rationnel, spirituel / matérialisme. Cette même lumière qui va éclairer le visage d’Alexandre, chapelle obscure trop longtemps restée fermée à clef.
La rencontre de ces deux couples va engendrer la création un carré, et c’est au sein de ce carré humain et ‘spirituel’, que la lumière, grâce au contact mutuel de ces quatre individus, va (re)apparaître.
Cette notion de lumière peut paraître niaise, illuminée justement, pourtant rien de pompeux dans le cinéma d’Eugène Green, pas grand-chose à voir avec la religiosité non plus. Cette lumière est plus à rechercher du côté d'une spiritualité générale ou tout simplement à d'un sentiment humain.


La grande force du cinéma de Green, c’est sa manière d’instaurer des dialogues. Dialogue qui passe par la parole bien sûr, celle-ci est prépondérante mais dialogue également entre différentes époques, entre passé et présent, entre différentes langues, entre différents lieux.
La première partie du film joue avec une parole maltraitée, comme les mots presque vulgaires prononcés par une jeune femme dans une file d’attente, mais surtout absente, soulignant l’incommunicabilité au sein du couple Alexandre et Aliénor.
Puis, au contact du frère et de la sœur, cette parole va reprendre peu à peu sa place, et sa grâce, au sein du film et au sein du couple (même de façon indirecte).
Des rapports de filiation, transmission, vont se mettre en place et se retourner.
Alexandre au contact de Goffredo, Aliénor au contact de Lavinia, et inversement, se retrouvent petit à petit et retrouvent également leur partenaire. En questionnant leur présent tout en faisant ressurgir les démons du passé pour mieux regarder leur avenir.
Ce dialogue avec le passé permet d’en convoquer les fantômes. Des fantômes qui hantent le présent des personnages. Autant des souvenirs proches, que des fantômes beaucoup plus anciens.
Cette mémoire se transformant en projections dans le présent, se réincarnation dans un personnage ou un lieu : le décès d’un enfant ou celui d’un collègue de travail, ou bien l’opposition entre Borromini, architecte baroque artiste et mystique et le rationnel Bernin.


Difficile, et inutile, de s’attarder sur toutes les richesses du film, à l’image des précédents métrages du cinéaste, la Sapienza est avant tout un film sensoriel, rempli de grâce, envoûtant et somptueux.
Dans lequel les corps ou les visages de ses acteurs sont filmés de façon aussi belle que l’architecture, les bâtiments, les paysages. Et où la beauté émane d'un enchevêtrement de paroles, de langues, de sonorités. Et puis, cette lumière évoquée plus haut, c’est aussi celle qui permet au film de devenir profondément émouvant, lorsqu'elle perce les interstices du plan. Accrochée à un regard, un échange de paroles, un moment suspendu, ou à un travelling sur un motif architectural.
Superbe film

Teklow13
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le 2 avr. 2015

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Teklow13

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