Quelques mois après la réussite de « La femme au portrait » Fritz Lang tourne « La rue rouge » avec le même couple d’acteurs-vedettes et une histoire qui s’intéresse à nouveau à la peinture (le patron de Chris s’appelle Hogarth). Nouvelle adaptation d’une pièce de Georges de la Fouchardière, soit le remake de « La chienne » de Renoir.

Christopher Cross (Edward G. Robinson) est à la croisée des chemins (criss cross). La cinquantaine, il sort d’une assemblée professionnelle où ses pairs lui ont offert une montre gousset de 14 carats, pour fêter ses 25 ans dans la boîte. Mais il n’est qu’un petit caissier à 50 dollars. Il est marié depuis 5 ans à une veuve qui conserve sous son nez le portrait de son mari noyé en héros. La cohabitation est tendue et on apprend au détour d’une conversation que Chris n’a jamais vu une femme nue.

Chris prend la défense d’une charmante jeune femme qui se faisait tabasser dans la rue par un homme. Kitty (Joan Bennett) est jeune et jolie, encore un peu fragile mais sans trop de scrupules. Elle se fait raccompagner par Chris et accepte de prendre un verre avec lui. Là, ils rentrent tous les deux dans un jeu qui va rapidement les dépasser. Dans l’euphorie du moment, Chris accepte de passer pour un peintre au talent encore méconnu. Quant à lui, il imagine Kitty en actrice.

En réalité, Kitty se faisait tabasser par Johnny (Dan Duryea) son homme qui cherche continuellement les petites combines qui pourraient rapporter. Quant à Kitty, c’est une fainéante qui laisse la vaisselle s’accumuler dans l’évier, vautrée sur son canapé. Et Chris n’est qu’un peintre amateur qui ne s’en sort pas avec la perspective. Bref, les perspectives ne sont pas fameuses.

Kitty tient tête à Johnny. Elle a vu des toiles de Cézanne à 50 000 dollars. Selon elle Chris a un vrai talent de peintre. Elle le revoit, le séduit sans jamais lui céder et commence à rêver pour de bon. Chris est prêt à tout pour cette femme charmante qui s’intéresse à lui. Il lui présente ses œuvres et l’installe dans un bel appartement où Kitty lui fait croire que Johnny est le copain de son ancienne colocataire. Johnny récupère des toiles de Chris qu’il propose à un petit vendeur. Evidemment, celui-ci les estime au prix de la toile. Mais, divine surprise, il réussit à les vendre à un critique influent qui y voit la marque d’un véritable talent, au point de chercher l’artiste. A l’initiative de Johnny, Kitty passe pour l’auteur des toiles, ce qui fait dire au critique qu’il y voit une dualité étonnante…

Les rebondissements vont s’enchainer dans un film d’une richesse scénaristique impressionnante. Kitty veut devenir actrice ? Johnny l’interpelle en lui disant que vis-à-vis de Chris, elle tient le rôle de sa vie (vision du rôle de la femme typique de l’époque). Le film est également une étude très intéressante de ce qu’est l’art, comment on le reconnaît, ce qui l’inspire et comment une œuvre acquiert ou non de la valeur.

L’amour selon Fritz Lang est avant tout affaire de désir et de séduction. Malheureusement, le pauvre Chris a toujours lorgné les jolies femmes sans obtenir quoi que ce soit en retour. Kitty a beau jeu de le conquérir avec quelques sourires et attouchements de la main. Le summum est atteint quand elle lui propose de la peindre en lui tendant ses belles jambes (Johnny la surnomme « Lazzy legs ») afin qu’il lui mette du vernis sur ses ongles de pieds. La scène fait écho à une scène inoubliable entre Barbara Stanwyck et Fred McMurray dans « Assurance sur la mort » (1944), film auquel Fritz Lang a déjà rendu hommage dans « La femme au portrait ».

« La rue rouge » est à ranger dans la catégorie des films noirs, parmi les meilleurs. Fritz Lang ajoute sa touche personnelle avec un peu d’expressionisme et un clin d’œil à sa carrière allemande (un musicien des rues joue de l’orgue de barbarie comme dans « M. le maudit »). Le début n’est pas outrancièrement dramatique. Mais Fritz Lang (avec son scénariste Dudley Nichols) met en place un ensemble qui tient du tableau complexe. La femme de Chris descend chez sa voisine en se plaignant de devoir le faire. Mais c’est pour y écouter « La Maison du bonheur ». Quant à Chris, s’il laisse trainer des odeurs de peinture, c’est pour peindre des toiles inspirées par l’amour, ce qui lui fera dire que « Chaque tableau est une histoire d’amour ». Le critique le sent, même si tout le monde n’est pas d’accord avec lui. Et pour cause puisque le véritable auteur reste inconnu.

L’histoire va se noircir progressivement, jusqu’à un final très psychologique. La psychanalyse, un thème qui commençait à intéresser le cinéma hollywoodien (voir la fameuse séquence du rêve avec les décors de Dali dans « La maison du docteur Edwardes » (Hitchcock).
Electron
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le 24 nov. 2012

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