On pourrait croire que cette très belle description d'un moment de l'enfance, dans son noir et blanc sobre, sa sobriété scénaristique et son contexte historique, s'inscrit dans le cadre du cinéma japonais des années 50. De fait, La Rivière de boue est très proche, dans le ton et la position, des réalisateurs comme Ozu et Shimizu qui ont exploré la thématique de l'enfance des années 30 aux années 60 essentiellement, avec de très beaux films comme Des enfants dans le vent, Gosses de Tokyo ou Bonjour. Mais il s'agit d'un film de Kōhei Oguri et il a été réalisé au début des années 80.


Dans la lignée du récit d'apprentissage classique, il est question d'une rencontre entre deux gamins d'une dizaine d'années qui seront confrontés à différentes manifestations de l'inconnu issu du monde adulte. La cadre est celui d'un bord de fleuve à Osaka, au milieu des années 50. Il y a Nobuo, fils d'un couple de restaurateurs, formant une petite famille unie et modeste. Et il y a Kiichi, dont il fera la connaissance un peu par hasard, un gamin beaucoup moins bien loti, vivant avec sa mère et sa sœur sur un vieux bateau amarré non loin de là sur le fleuve Aji — la rivière boueuse du titre. Le film se contentera, humblement mais avec beaucoup de sensibilité et une acuité nette, de suivre cette rencontre et de rendre compte de l'évolution de la relation entre les trois enfants en conservant la hauteur de leur regard d'enfant.


C'est d'ailleurs ce qui fait tout l'intérêt d'un tel film, pour peu qu'on y soit réceptif, la captation d'un état d'esprit d'enfant, avec la méconnaissance des codes d'un univers qui s'ouvre (ici en l'occurrence dans un cadre d'après-guerre non sans conséquences) ainsi que la confrontation entre une naïveté comme immaculée et un pragmatisme adulte source de questionnements anticipés. Oguri rend très bien compte de la spatialisation de l'environnement des gamins comme une succession de terrains de jeu et d'expérimentation, avec l'échoppe, le pont, les rues, le bateau.


L'enfant qui joue le rôle de Kiichi est parfois un peu excessif dans le registre des comportements résultant du dénuement, mais il offre un contrepoint intéressant, en termes de contraste, à la figure de Nobuo beaucoup plus stable, propre et préservé. La solidarité qui se noue dans l'amitié et au-delà des différences, tout comme la candeur enfantine captée par la caméra (par exemple en se focalisant sur le regard de Nobuo qui s'attarde sur les guenilles de Kiichi), forment une atmosphère vraiment attachante. D'un autre côté, l'exposition bien trop prématurée à des émanations de la brutalité adulte (la mort d'un homme écrasé sous le chargement d'une charrette, la prostitution de la mère d'un des deux gamins) confère au film une teinte amère qui lui garantit un certain équilibre.


Des moments difficiles filmés dans un style relevant presque de l'abstraction, qui viennent agréablement compléter les épisodes de légèreté et de tendresse à l'image des séquences de tours de magie réalisés par le père. Des passages presque surréalistes, aussi, comme celui où Kiichi invite Nobuo chez lui et lui montre comment il enflamme des crabes au bord de la péniche — ce qui l'amènera à être confronté au sexe, en surprenant la mère, quelque temps après sa confrontation avec la mort. Un jour, sans prévenir, la péniche s'en ira, et provoquera un dernier sursaut émotionnel chez Nobuo.


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Morrinson
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le 7 nov. 2021

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Morrinson

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