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Ce film signé Alexandre Astruc, connu pour son concept de la « caméra-stylo » (notion qu’il développe en 1948 dans un article paru dans la revue L’Écran français), ne restera pas comme un impérissable. En effet, il présente les péripéties observées au sein d’un triangle amoureux somme toute très classique, avec Anna (Annie Girardot), mariée avec Eric (Daniel Gélin), cadre (voire propriétaire) d’une boîte qui travaille dans le secteur du bâtiment. L’époque (le film date de 1961) étant encore à la reconstruction, le travail ne manque pas. Mais le couple Anna-Eric ne tient pas fort et Anna s’amourache de Bruno (Richard Marquand) dont elle fait la connaissance à une soirée (mondaine) et auquel elle ne résiste pas bien longtemps.


La véritable valeur de La proie pour l’ombre, tient aux détails des relations homme/femme montrés alors, ce qui est intéressant à observer avec le recul. On ne sait pas depuis combien de temps Anna est avec Eric, mais apparemment ils n’ont pas d’enfant. Eric a tendance à considérer Anna comme un objet bien pratique, dont il use selon son bon vouloir. Ainsi, il attache une importance particulière à ce qu’elle soit avec lui lors de dîners d’affaires. Par contre, il n’aime pas l’avoir dans ses pattes en journée, quand il travaille (il n’apprécie pas particulièrement de la voir le rejoindre sur un chantier). C’est peut-être pour éviter ce genre de situation et parce qu’Anna affiche des velléités d’indépendance, qu’Eric lui a acheté la galerie d’art (peinture) qu’elle dirige (elle a une employée à tout faire qui lui sert essentiellement de secrétaire). Mais attention, Anna est limitée dans son autonomie, car elle n’a pas de compte en banque (inimaginable aujourd’hui, alors que les femmes mariées ont dû attendre 1965 pour disposer d'un compte-chèques) et elle doit donc systématiquement demander à son mari quand elle a besoin d’argent. Bref, Eric qui ne trouve rien à redire à cette situation se comporte en macho ordinaire. Il a laissé un peu de liberté à Anna pour la forme : à voir son comportement, il considère qu’elle ne travaille pas, mais qu’elle occupe son temps.


Quant au comportement d’Anna, il faut aussi le détailler. Elle a l’air d’abord de ne pas réaliser combien Eric l’oppresse à sa façon. On ne s’affranchit pas comme ça de décennies de situation d’infériorité. Ainsi, on peut se demander pourquoi et dans quelles conditions Anna a épousé Eric. L’a-t-elle aimé ? Ou bien a-t-elle cru l’aimer ? A moins qu’elle s’en soit convaincue parce que cela lui convenait. Il semblerait que le fait qu’Eric ait une bonne situation l’arrange quand même d’une certaine manière. Mais, ce qui l’a arrangée pendant un certain temps commence sérieusement à lui peser. Et c’est la rencontre avec Bruno qui sert de révélateur. Bruno se montre plus correct vis-à-vis d’elle et les sentiments semblent bien là, partagés qui plus est, suite à un coup de foudre. Bien-sûr, ce qu’Anna éprouve lui donne rapidement envie de profiter et donc de s’éloigner d’Eric. Mais, la fin du film apporte le doute : au final, gardera-t-elle l’impression d’avoir évolué de manière si positive que cela ? Est-ce que ce qui fait le charme ou le sel de sa relation avec Bruno ne tient-il pas surtout à la nouveauté et au fait qu’elle brave un interdit en acceptant cette relation extra-conjugale ? On craint pour elle qu’une fois le nouveau couple installé, une certaine routine s’installe et qu’elle puisse éprouver de la déception. Heureusement, il existe une vraie différence entre Eric et Bruno, c’est qu’Eric est un rouage très impliqué dans la société capitaliste en tant que membre important de la société de travaux publics pour laquelle il travaille, alors que Bruno se comporte de façon beaucoup plus bohème en tant que producteur d’une maison de disques. Mais si le doute s’installe, c’est par exemple dans cette scène qui laisse une impression bizarre quand Bruno a invité Anna à un enregistrement en studio. Alors qu’ils sont du côté des instrumentistes qui jouent, ils commencent à parler à voix haute, comme s’ils ne réalisaient pas que leur attitude ne peut que gêner. Il est vrai que c’est voulu dans la mise en scène du film qui enchaine sur une autre scène en extérieur, avec la musique qui continue. Mais, comment perçoivent-ils les activités artistiques ? Comme quelque chose de respectable à admirer ou bien comme un produit qui peut éventuellement rapporter de l’argent ? Il est vrai qu’à l’époque, on ne parlait pas encore de société de consommation. Mais, le film montre que les comportements sont en train de préparer son émergence.


Electron
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le 8 nov. 2022

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