Il est intéressant et amusant de noter que La porte du diable fût réalisé la même année que la flèche brisée de Delmer Daves. Soit les quasi 2 premiers westerns pro-indiens du cinéma américain.
Mais plutôt que de s'opposer, les deux films offrent une vision complémentaire d'un même sujet, vu d'un point de vue contraire et mis en scène de façon totalement différente. D'un côté le lyrisme en technicolor de Daves, et plutôt optimiste, dans lequel la vision est celle d'un homme blanc, James Stewart, sur le peuple indien. De l'autre le pessimisme en noir et blanc de Mann, vue du point de vue de l'indien, Robert Taylor ( !!!).
Réalisé après de multiples films noirs, La porte du diable est le premier western du cinéaste, avant sa riche collaboration au genre, notamment les 5 films réalisés avec James Stewart. C'est intéressant à noter car on ressent vraiment cette transition dans la forme du film. C'est un film charnière, dans lequel Mann travaille le genre en y apportant des idées de mise en scène et de ton venant du film noir, de la série B : des gros plans, des contre-plongées, un travail expressionniste de la photo, une brutalité dans les scènes de bagarres. Tout ça contrebalancé par ce qui fera sa particularité par la suite, la prise en compte de l'espace, des grands paysages américains. Et qui amène un de ses thèmes privilégiés, la place de l'homme dans ce paysage.
La mise en scène est la grande réussite du film, car elle permet d'éviter l'effet film à thèse ou à discours plombant, que l'on peut craindre au départ, pour laisser parler les images.
L'écriture ne disparait toutefois pas complètement, mais Anthony Mann a assez de talent pour ne pas la laisser en premier plan.
Outre son aspect historique, c'est donc une parabole du racisme, c'est un film sur le racisme.
Ici l'exclusion et le rejet du peuple indien, l'accaparation des terres par l'homme blanc.
Dans le film l'indien officier Robert Taylor revient de la guerre dans son village du Wyoming, retourne sur ses terres, la douce vallée, où vit son peuple Shoshones. Non reconnu par la loi, il risque de perdre « ses » terres.
L'intelligence du film est de ne pas jouer sur un côté trop forcé et démonstratif. Ainsi la figure du « mal », incarné par un avocat raciste de noir vêtu, fonctionne car écrit de façon humaine et subtile. Dès les premiers plans il s'accapare le cadre : son apparition géniale dans le saloon, dévorant le cadre tout en restant à la marge de celui-ci. Par la suite il rependra sa haine de l'indien, au sein de la population, de façon sournoise, dissimulée, et d'autant plus terrible. Tout en gardant son aspect humain, son affect, il n'est pas juste une figure du mal.
L'autre idée intéressante du film est liée à son personnage féminin, avocat que va choisir Robert Taylor pour tenter de préserver ses terres. L'évolution entre les deux personnages est là encore subtile, jouant sur le regard de l'autre. Taylor dans un premier temps refusant de faire confiance à cet avocat car c'est une femme.
On sent malgré tout que Mann a dû faire une concession commerciale mais aussi peut être morale (ça c'est bien plus dommage) pour le personnage de l'indien, pour que le public suive, s'y retrouve et ne soit pas « heurté » par une romance entre un natif et une blanche. Si on oublie cet aspect assez rapidement, il est cependant présent et dommage.
Parsemé de très belles scènes, juxtaposant l'expressionisme en scène d'intérieur et le lyrisme des grands espaces, La Porte du Diable est un super western, tragique et au final d'un grand pessimisme.
Teklow13
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le 5 juil. 2012

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