La Pierre
7.5
La Pierre

Film de Alexandre Sokourov (1992)

Difficile de ne pas voir dans Kamen, sinon le prolongement, du moins la continuité logique du Deuxième Cercle. Pas seulement du fait de la présence de Piotr Alexandrov, déjà acteur principal du précédent Sokourov, en 1990. Non, deux ans après, le cinéaste n'est pas sorti d'une phase opaque et profondément dépressive. Nous sommes encore loin de la mélancolie lyrique des premières Elégies, même si certains plans de ce Kamen annonce l'Orientale.


Bref, c'est Sokourov qui décide de se cloîtrer, d'enfermer ses personnages dans un minable taudis (Deuxième cercle) ou dans une maison mystérieuse dans laquelle semblent se nicher d'inquiétants fantômes (Kamen). Celui de Tchekhov d'abord, même si l'étonnant postulat du film n'est qu'à peine suggéré, entraperçu par une mise en scène volontiers élusive. Mais la lumière filtre à peine des intérieurs lugubres et mornes que le russe donne à voir, offrant des ombres expressionnistes. Avec les perspectives étonnantes de la caméra, on sentirait presque les relents claustrophobes du Servant de Joseph Losey, influence convoquée volontairement ou involontairement (le mystère reste entier) par le film.


Dans tous les cas, l'épure esthétique presque absolue à laquelle confine Kamen (très peu de musique, tournage quasi-exclusivement en intérieurs) fait l'effet d'un enfermement. Les personnages semblent encastrés dans la froideur morne des murs, systématiquement abattus par la léthargie ambiante. Les bords du cadre, pour la plupart noirs du fait de l'absence de lumière, écrasent littéralement nos deux protagonistes dans la moiteur d'un quotidien fantasmé (réincarnation de Tchekhov à l'appui !) mais si peu transformé. Dans Le Jour de l'Eclipse aussi, il y avait ce jeu sur la lumière d'une ampoule qui peinait à éclairer les allures mortifères de la pièce. Mais il suffisait d'aller dehors pour retrouver la chaleur du songe, avec celle du Soleil, écrasant de fatigue et de sueur notre médecin exilé.


Rien de tout cela dans Kamen où le ton reste à la déprime globale. Même quand les deux compères s'aventurent dehors, en fin de film, la morosité de l'hiver achève de les envelopper. Et la brume, constante des films de Alexandre Sokourov, s'empare alors du hameau, sur quelques notes (les seules du métrage, quasiment) de musique ...

Nwazayte
7
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le 16 nov. 2015

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