Quand j'ai lu le résumé de l'intrigue de départ de ce film, je craignais que cela ne soit qu'une pâle resucée du Festin de Babette, avec ce diner fastueux que l'on doit servir à un prince et qui s'annonce comme l'apothéose de cette œuvre.


Pas du tout. Sans trop en dire, mais en étant suffisamment vague pour celles et ceux qui n'ont pas encore vu l'ensemble et suffisamment clair pour celles et ceux qui l'ont vu, le choix comme titre La Passion de Dodin Bouffant est justifié. C'est cela le cœur du récit, cette passion, et non pas un pot-au-feu comme pourrait le faire croire le titre choisi pour le marché américain, uniquement parce que l'utilisation de mots français dans le vocabulaire culinaire anglophone est fréquente, donc a priori plus efficace sur le plan promotionnel.


Bref, il s'agit plus précisément d'une double passion et non pas de deux passions séparées. Ce sont deux aspects d'une seule et même passion, l'un fonctionnant grâce à l'autre et inversement. La passion du protagoniste masculin pour l'art gastronomique et celle qu'il éprouve pour sa cuisinière.


C'est une histoire contée la plupart du temps avec sobriété, presque sans cris et larmes, bien servie par l'inévitable alchimie entre Benoît Magimel et Juliette Binoche. Si le premier n'est pas à l'aise quand il doit sortir des paroles très "écrites" (autrement, il est excellent !) quant au sublime de l'art des fourneaux (les dialogues en eux-mêmes ne constituent pas le problème ici... la langue de Molière est tellement belle, tellement riche, autant en profiter... non, le problème, c'est que si, par exemple, un Raimu, un Jouvet, un Blier, un Noiret, un Marielle, un Rochefort, un Depardieu avaient la grandiloquence naturelle pour sortir avec flamboyance ces tirades, un Magimel ne l'a pas !), la seconde est impeccable de bout en bout (il est vrai, à la décharge de son partenaire, qu'elle n'a pas à débiter de telles répliques !).


En ce qui concerne la mise en scène de Trân Anh Hùng, la photographie est trop léchée, abusant un peu trop du jaunâtre, figurant la lumière extérieure, pour ce qui est des séquences en intérieur pour que visuellement le tout ne finisse pas par à être plat et monotone.


Ah oui, dernier reproche, si on venait à me servir une omelette norvégienne superbement préparée, je n'en laisserais pas la moindre miette dans mon assiette. Ce n'est pas crédible que la nièce de l'aide-cuisinière néglige d'en manger une partie. C'est un crime de lèse-majesté pour les papilles, bordel.


Avertissement, au passage, il est conseillé de regarder le long-métrage après s'être fait un bon restaurant, avec l'estomac au bord de l'implosion... on évite de le faire après avoir ingurgité un truc vite fait sur le pouce, pour se caler en attendant mieux, ou, pire encore, à jeun... sinon bonjour les litres de bave d'envie glissant comme des torrents de votre bouche.


Pour ce qui est de l'art culinaire, justement, vu la précision et la fluidité avec lesquelles les comédiens exécutent les divers et nombreux plats, on sent la supervision d'un grand chef. C'est le cas puisque Pierre Gagnaire, multi-étoilé du Guide Michelin,** **a servi de conseiller technique (il joue même un petit rôle !). Sur ce plan, la réalisation est réussie.


Bref, là où La Passion de Dodin Bouffant marque ses points, c'est dans tout ce qui est lié directement à cette passion : la cuisine (bel hommage à ce trésor inestimable de la culture française !), l'alchimie entre les deux têtes d'affiche et la romance douce ainsi que touchante entre les deux amoureux. Qu'est-ce qui pourrait être ajouté ? Ah oui, bon appétit.

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le 9 nov. 2023

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Plume231

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