Vendredi 4 octobre , impromptu inespéré dans le programme qui m'étais imposé, j' assiste à la projection du film, présenté par Bertrand Tavernier. Intense émotion, il parle, parle, intarissable passionné, pertinent et humble comme pas possible, avouant à l'assemblée n'avoir pas revu le film depuis plus de trente ans, et reconnaître une frustration, un sentiment d'inabouti. Il l'explique par un tournage fut rendu rude par la confrontation morale ( physique?! ) avec Bernard-Pierre Donnadieu qui ne lui donnait pas ce qu'il voulait. Ce faisant il s'épuisa à dompter la Bête, ne pouvant donner le meilleur de lui-même sur le reste, s'accrochant à son scénario comme à une bouée ?


Une étrange affaire de famille où le personnage joué par Donnadieu empli de son enfer personnel, sa quasi haine de Dieu ? martyrise son fils, joué par le fils Tavernier parfait falot féminisé, et sa fille, incarnée intensément par une Jules Delpy , si juste par ailleurs. Un ogre.


Après Blier qui ébranla les mâles au cinéma dès les années 70, Tavernier s'y met sans demi mesure. Le vrai Depardieu sûrement pas disponible, et qui avait déjà joué sur le même pitch initial( le retour de Martin Guerre ), son avatar fut chargé d'incarner le Mal mâle.


Se référant à Le Goff, dévoré par son ambition à raconter le Moyen-âge, mieux que Jean-Jacques Annaud, son rival naturel sur le terrain du cinéma d'auteur populaire( rappelons qu'un an auparavant était sorti au nom de la rose film avec lequel il partage de réelles parentés stylitiques), Tavernier ose le film barocco en diable, hommage à Ricardo Freda. Sa mise en scène semble vouloir absolument ( passion quand tu nous tient ) prendre le contre-pied du parti pris hollywoodien tant esthétique, "le film à torche" ( indication du cinéaste lui même en préambule à la projection ), que scénaristique. Les petits détails de la vie quotidienne le travaillèrent( ah l'anecdote du coffre et de l'armoire, il parle de sa décoratrice revenue d'un film tourné en Afghanistan avec Frankenheimer ) tellement que cela produisit un résultat sans équivalent.


Entre giallo archaïque et western mi spaghetti, mi de Toth, Tavernier se distingue en allant encore plus loin. Demander à un compositeur de jazz de lui faire la bande originale( cela ne s'entend pas du tout tant la transmutation en musique "médiévale" est réussie ), et comme le prénom nous l'indique, porter à l'écran la version cinéma à la fois de l'Enfer*( première partie de la Divine Comédie ) et Vita nuova du même Dante , célébrant son amour désespérément platonique pour la "Bice", Béatrice di Folco Portinari.


Toute la tension ( ou l'attention ) est focalisée sur la petite mademoiselle de Cortemart dont on suit le calvaire, son amour, et sa haine, ses désirs et dégoûts, rien ne nous est épargné. Et l'on songe que la jeune comédienne de dix-sept ans(!) fut bien courageuse pour porter cela sur ses frêles épaules.
L'atmosphère est mortifère en un expressionnisme de couleurs, les paysages rocailleux et tortueux de l' Aude (? ) secs et rudes comme des pieds de vigne, la qualité de copie dégueulasse s’alliant avec la fange, la boue, la suie et le sang qui gorgent le film de sucs( L historien Alain Corbin a dû adorer ), on navigue entre chasse de Monsieur de Cortemart( à la place de Zaroff déjà pris ) Isabelle Nanty en Brigitte Fossey des valseuses métamorphosée en rustre paysanne médievale, on songe aussi au terrible Othello de Wells, Donnadieu gueule noire de monstre, noircissant le visage de la statue Béa ( y aurait pas aussi du Jacques Tourneur ou de la Vénus de Milo dans tout ça ? ) bref on ne sait où donner des yeux, fasciné par les trognes, halluciné devant le personnage et la performance de Robert Dhéry. Le film le plus cinéphile de B Tavernier?


Autour de la figure féminine centrale de la jeune fille outragée, sacrifiée, gravite la grand-mère, la sorcière, la recluse, cette multiplication nous perd, comme cette foule de second rôles, manants en tout genre et à tout usage.
Il est trop long , comme cette intarissable critique, le flux de sève ou de sang, comme un coup de poignard qui une fois brandi ne peut être arrêté...Fatalité.
Et parfois Bertrand ose des envolées , un travelling latéral de folie sur son fils éperdu , il ose les cavalcades furieuses, filme avec amour un arbre mort tordu si romantique ( arbre à corbeaux, ici choucas? de Caspar Friedrich )


Ce film me semble hanté d'un sentiment d'impuissance porté comme une malédiction par les hommes, le fils chieur dans froque, le pauvre Robert Dhéry que l 'entourage des femmes a rendu ennuque, le roturier qui achète les terres en friche à défaut de la fille vierge, le père impuissant à être seigneur, père, homme, et aussi bien bon chrétien que fourgueur de fille au marché de la Vierge, bête blessée aux élans mortifères, absent et terriblement présent.
La statue de vierge à l'Enfant est extraordinaire comme un totem chamanique, absorbant tout le mal...


Ce film mérite tellement réhabilitation et copie restaurée.

A mes yeux, il hante la princesse de Montpensier. Les mêmes cadres, même façon de filmer les extérieurs à cheval vigueur, et je songe aux deux figures masculines: Cortemart qui se fout de son âme ce fou, miroir inversé de l'émouvant Comte de Chabannes qui lui sut sauver la sienne; tous deux unis dans l'impuissance d'aimer, d'être aimé?

D'inachevée Passion Béatrice ( des moments faibles, un montage pas assez coupant, des moments de jeu d 'acteurs dissonant terriblement, des fins de répliques pudiquement saccagées...?) à l' achevée Princesse ? J'aurai aimé poser la question à monsieur Tavernier.


Il hanta également plus près de lui l'appât. Refaire un film sur la figure féminine outragée, ce n'est pas inutile, combat acharné.
Film de colère et de couleurs , il déroute, heurte, fascine, révulse, transporte, perd, fait voyager incroyablement.
Ma critique est approximative, je le confesse avec regret mais elle est je crois au diapason du film et de son auteur.

PhyleasFogg
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le 4 oct. 2019

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