Aussi subtil qu'une planque de la PJ grenobloise

On ne peut qu'acceuillir favorablement un polar français suffisament audacieux pour présenter un féminicide à l'écran, d'autant plus quand le réalisateur prend le parti d'une enquête sans résolution finale.

Pour autant, le film souffre de gros défauts, qu'il me semble important de mentionner. D'abord, l'interprétation est à mon sens largement ratée, mis à part pour quelques fulgurances. Mais là dessus, il semble que tout le monde ne soit pas d'accord. Plus grave, par contre, le film est trop lourd, explicatif, en manque de subtilité, et ce dans tous les domaines.

Au niveau du message féministe d'abord. Après une superbe séquence ou l'amie de la défunte fond en larme après un énième interrogatoire surprise ne visant qu'à compléter le pokedex sexuel de la victime, l'enquêteur en chef (joué visiblement par un ciborg, on y reviendra) finit par se rendre compte du caractère de féminicide de l'enquête. Mais cela avait déjà été souligné au moins deux fois par le héros secondaire, et ça sera rappelé une petite dizaine de fois, entre confrontation avec un collègue, autocongratulation dans l'analyse avec la juge ou conversation intimiste avec la nouvelle flic en planque. On va jusqu'à nous sous titrer explicitement que " tous les hommes auraient pu tuer cette femme", etc. Il est assez désolant d'avoir besoin d'un tel niveau d'enfoncage de clou à l'époque où nous vivons (cf commentaire plus haut), surtout après avoir présenté les cinq suspects les plus unidimensionnels (de l'amant désinvolte moqueur de la mort de son ex au facho violent en passant par le sdf "répugnant") de l'histoire du cinéma.

Au niveau de la mise en scène ensuite. Que c'est lourd. Une idée sympa du flic tourmenté qui peine à trouver le sommeil, éclairé par une lumière fluctuante qu'on devine rappeler les flammes du meurtre... Est accompagnée quelques secondes plus tard par une impression en transparence des images du meurtre. Le coup de l'imprimante defectueuse martelé pour bien souligner le manque de moyens alors que le sujet est déjà aux cœurs des enjeux matériels de l'enquete (rappelé explicitement dans un dialogue plus tard par l'impossibilité de planquer a l'anniversaire du drame, puisqu'il faut toujours tout expliquer... ).

Enfin la plongée dans les psychés sont d'un tel manque de finesse... Les scènes de vélo comme fenêtre sur la psyché de notre pauvre enquêteur ciborg qui ne joue rien mais ressent pourtant tellement, la voix off qui lit sa lettre à son pote à la fin alors que, tout sourire, il a mis les fantômes du passé derrière lui grâce à une jolie collègue intelligente et une montée de col qui le sort enfin de sa piste " roue de hamster..."* (*elle aussi explicitée dans un dialogue, car le spectateur est trop con pour comprendre la métaphore tout seul après 3 scènes nocturnes d'enquêteur qui tourne concentré, puis déterminé, puis énervé, selon le tempo de l'enquête)

Bref, j'ai l'impression désagréable d'avoir été pris un peu trop pour un con. Et c'est dommage, car le film reste une bonne chose pour le cinéma français.

PS : le titre de cette critique est un clin d'œil à la subtile planque dans un énorme van neuf aux vitres fumées dans une rue déserte d'une banlieue pavillonnaire littéralement en face de la pelouse du meurtre. Chapeau les gars, aucune chance d'être repérés.

JérômeSiryed
6
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le 20 nov. 2022

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