Cinquième et pénultième film pour Kinuyo Tanaka qui évoque une seconde fois le thème des anciennes prostituées qui essayent de se réinsérer dans la société. Mais un nombre non négligeable de personnes de cette dernière est-il prêt à accepter parmi eux ce qu'ils considèrent être des réprouvées, à aller au-delà de leur intolérance, de leur profonde bêtise ? Je suis sûr que vous allez être étonné(e) de ouf si je vous réponds que ce n'est pas le cas…


Plaisanterie à part, certaines femmes ne valent pas mieux que certains hommes à ce niveau-là. Et la protagoniste en fait à plusieurs reprises l'amère expérience.


J'ai parlé en début de critique d'une seconde fois dans le traitement de cette thématique chez Kinuyo Tanaka. En effet, Lettre d'amour, son baptême du feu derrière la caméra, montrait déjà une femme jugée négativement par le type qui l'aime éperdument parce que celle-ci a dû se prostituer, comme beaucoup d'autres êtres de son sexe, pour ne pas crever de faim pendant la guerre. Dans La Nuit des femmes, ce qui déclenche le fait qu'une jeune ancienne prostituée essaye désespérément de vivre une existence normale, c'est l'adoption d'une loi anti-prostitution à la fin des années 1950 ayant eu pour conséquences la fermeture des maisons closes ainsi que l'interpellation constante de celles qui travaillent sur le trottoir.


Comme dans ses deux précédents films en tant que réalisatrice, The Eternal Breasts et La Princesse errante, Tanaka peint le parcours de sa protagoniste, les différents environnements dans lesquels elle vit et les divers personnages, bienveillants ou mauvais, qu'elle croise par une succession de courtes scènes, ne s’étendant jamais plus que nécessaire.


C'est un procédé qui avait très bien fonctionné dans les cadres intimistes d'une vie intimiste de The Eternal Breasts, un peu moins dans un ensemble demandant à se laisser aller à l'épique de la grande Histoire avec un H majuscule dans La Princesse errante. Pour La Nuit des femmes, étant donné qu'on est aussi dans des cadres intimistes d'une vie intimiste, ce type de narration correspond très bien à nouveau.


Je regrette juste un ton trop mélodramatique (dans le jeu des actrices, impeccable autrement, et dans la musique !) pour certaines séquences qui auraient gagné à être plus sobres, pour ne pas paraître dissonantes par rapport au reste auquel je n'ai à faire aucun reproche. Je pense notamment à celle où le personnage principal s'interroge sur le bien-fondé ou non de la prostitution tout en se demandant en même temps si donner son corps au service de n'importe quelle profession n'en est pas une aussi.


Ah oui, visuellement, j'ai toujours kiffé le style très décennie 1960 du noir et blanc étalé sur un écran large. Et la cinéaste réussit à l'utiliser avec brio, spécialement pour bien mettre en avant la rejetée qu'elle suit dans les décors qu'elle traverse au fil de ses quelques bonheurs et de ses nombreux malheurs.


Pour finir, il y a quelque chose de fort qui distingue une Kinuyo Tanaka de par exemple un Kenji Mizoguchi (ce dernier a souvent traité ce genre de sujet tout au long de sa carrière !). Et ce quelque chose, c'est l'espoir, c'est la croyance que la femme a la capacité de se battre contre un monde vicié par le patriarcat. Et ça, c'est puissant.

Plume231
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le 9 mai 2022

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