Les films de zombie français sont rares (Les Raisins de la Mort en 1978, La Horde en 2010, Goal of the dead en 2014). La sortie au cinéma d’un long-métrage de ce genre est donc souvent un évènement à suivre. C’est le cas de La Nuit a dévoré le monde de Dominique ROCHER, sorti en 2018 et adapté du roman éponyme de Pit AGARMEN.


Après une rupture sentimentale, Sam se réveille un matin dans un Paris dévasté par une invasion zombie. Il va devoir réorganiser son existence pour survivre et tenter de retrouver un semblant de « vie d’avant ».


Les films de zombie suivent souvent une trame bien définie et variant peu (présentation éventuelle des protagonistes, invasion, survie, recherche d’autres survivants). Mais c’est là que La Nuit a dévoré le monde se démarque.


En effet, outre le fait de se dérouler à Paris (cadre inspirant et immersif, original aussi), le réalisateur Dominique ROCHER fait le choix intéressant de ne pas faire un film d’exploration survivaliste. Ici, il n’est pas question, comme d’habitude, de quitter le lieu protecteur pour chercher d’hypothétiques survivants. Au contraire, Sam, le protagoniste, est un individualiste qui se replie sur son environnement. Il explore seulement son immeuble haussmannien et regarde à peine le monde par la fenêtre. Ses expéditions sont d’ailleurs souvent provoquées par un évènement extérieur (suicide de ses voisins, chat dans la rue). Le reste du temps, Sam le passe à faire de la musique expérimentale, à écouter des enregistrements de la voix de sa mère et à faire du jogging d’intérieur, en passant d’appartement en appartement, tel un confiné. On peut y voir une illustration de l’individualisme contemporain et une métaphore de l’isolement de la vie urbaine et parisienne.


D’ailleurs, Sam est un expatrié allemand qui, au début du film, semble à part, isolé des autres pendant la fête à laquelle il participe avant l’invasion. Cet isolement va d’ailleurs lui sauver la vie.


Loin des clichés gores et violents du genre, le film propose donc une introspection de son quasi unique personnage. Celui-ci est présenté dans son environnement qu’il tente de conserver ou de reconstituer. Nous suivons ses réactions face à cette apocalypse qui a déjà eu lieu pendant la fameuse nuit du titre. Sam arrive après et assiste plus à la désolation d’un monde déjà « dévoré » qu’à la destruction de ce dernier par des zombies dont on ignore tout.


Son quotidien va donc se résumer à l’exploration de son immeuble haussmannien pour récupérer des vivres. Sam est d’ailleurs un personnage ingénieux et débrouillard, mais également lunaire et irresponsable. Il ne joue pas les héros mais ne prends pas non plus pleinement conscience de la situation. Il préfère réorganiser sa vie comme avant (avec facilité et confort même, il semble y avoir tout ce qu’il faut à Paris pour survivre à une apocalypse zombie).


Outre l’aspect survivaliste, Sam vie aussi plusieurs existences par procuration dans les appartements de ses voisins. Il réalise ici un fantasme des populations urbaine : connaitre et vivre la vie d’autrui, la vie de ces voisins que l’on ne connait pas mais dont on croise le visage tous les jours. Vivre d’autres vies, celles d’inconnus, celles de zombies à travers ce qu’il reste d’eux : leur mobilier et leur intimité. Il s’agit d’une recherche de socialisation par l’intimité des autres, de même qu’une intrusion dans leur vie à travers leur habitation, sans contact direct, à éviter en l’occurrence. Cette thématique filée tout au long du film est assez intéressante.


Concernant le casting, si l’acteur Anders DANIELSEN LIE (Personal Shopper d’Olivier ASSAYAS en 2016, Un 22 juillet de Paul GREENGRASS en 2018 dans lequel il tient le rôle d’Anders BREIVIK, et deux films à Cannes en 2021 : Bergman Island et Julie en 12 chapitres de Joachim TRIER) porte bien le film sur ses épaules, il est tout de même bien soutenu par un Denis LAVANT hallucinant en zombie confident.


Une fois encore, le comédien français nous offre une prestation de malade, à la fois originale et marquante. Son rôle est sans parole mais à chacune de ses apparitions, il fait preuve d’une multiplicité d’expression faciale toujours renouvelée et différente. Sans faire passer d’émotions (son personnage de zombie décérébré en est dépourvu), il entretient clairement une discussion d’un autre genre avec le personnage de Sam. Sans que l’on soit sûr qu’il comprenne ou qu’il exprime quelque chose, il interagie avec une gestuelle à la fois balbutiante, diminuée, étrangement malsaine et dérangeante. Zombie inoffensif, il n’en est pas moins dérangeant qu’il est interprété par Denis LAVANT. Je le répète : Denis LAVANT est un acteur de génie dont je vous conseille la filmographie originale et poétiquement décalée.


Pour terminer, revenons au déroulement du film pour évoquer sa scène finale, aux interprétations multiples.


À la suite de l’intrusion de zombies dans son appartement, Sam est contraint de fuir par les toits. Il parvient in extremis à s’échapper et à grimper sur la toiture de l’immeuble en face du sien. Temporairement en sécurité, il reprend son souffle en observant le paysage de zincs parisiens s’étendant devant lui à perte de vue. Il sourit et le film s’achève. À mes yeux, ce sourire évoque plusieurs choses : le soulagement du héros d’avoir survécut à tous ces dangers, le plaisir de voir enfin un univers étendu et à ciel ouvert, à l’inverse de l’espace clôt de son appartement. Les toits de Paris sont aussi la reproduction à l’infini de l’environnement dans lequel il a passé tout le film. Il s’agit alors d’un sourire lancé à l’aventure qui continue, de toit en toit. Comme si Sam avait changé d’objectif et été disposé à partir enfin en exploration. Enfin, ce sourire est tout simplement l’expression de tout parisien face à la beauté des toits parisiens, tout simplement.


La Nuit a dévoré le monde est un bon film de genre qui illustre bien la qualité et le dynamisme de ce type de cinéma en France. Rares et osées, se distinguant des archétypes du cinéma américain ou asiatique, des films comme À l’intérieur (2007), Grave (2017) ou La Nuit a dévoré le monde méritent d’être vus et soutenus.

Créée

le 19 août 2021

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