Après le récent film « Jeune Karl Marx » dans lequel il n’y avait pas eu beaucoup de jeunesse ni beaucoup de Karl Marx, cela fait plaisir de tomber sur cette « Mort de Staline », tellement celle-ci est pétrie de bon sens et semble remettre quelques évidences au goût du jour. Parce que non, ce n’est pas parce qu’on aborde une question grave en Histoire que le ton le plus approprié pour le traiter c’est celui de la gravité. Non, ce n’est pas forcément en étant le plus proche des faits qu’on retranscrit le plus fidèlement une époque. Et oui, on peut rire de tout. C’est d’ailleurs souvent ça qui nous permet de penser librement. Or, libérer un peu la pensée, dans des temps comme ceux que nous vivons, je trouve que ça ne fait pas trop de mal. Parce que oui, j’ai adoré le ton farcesque de ce film. L’air de rien, tout le registre du théâtre comique est utilisé ici : personnages singés et ridicules dans leurs incohérences, situations saugrenues, décalages permanents entre l’absurdité d’une situation ou d’un personnage d’un côté et sa solennité supposée de l’autre… Alors certes, je reconnais que ça peut surprendre aux premiers abords. Le film prétend nous plonger au cœur de la dictature stalinienne et pourtant l’introduction a tout d’une petite comédie britannique bien cosy. Il y a forcément une partie de nous qui, biberonnée qu’elle a été à la culture occidentale, se surprend qu’on ne nous dresse pas tout de suite un décorum de gris sur fond gris, où des bottes de soldats claquent partout pendant qu’une musique bien angoissante nous rappelle les horreurs du stalinisme. Et pourtant, je trouve que c’est justement parce que cette « Mort de Staline » refuse ces poncifs là qu’elle parvient à donner un autre visage de cet univers et de cette époque. Les purges sont bien là, la terreur aussi, mais le fait qu’elle soit diluée dans un cadre humanisé et normalisé contribue justement à créer ces décalages si propres aux farces cyniques et absurdes. Et je trouve ça personnellement merveilleux de mettre l’accent sur l’absurdité du stalinisme. Non seulement ça dit quelque-chose du stalinisme, mais en plus ça en devient tellement drôle ! Les acteurs sont vraiment au sommet de leur art. Tous s’éclatent à recomposer les personnages historiques à leur sauce. Steve Buscemi n’a pas grand-chose à voir avec le véritable Nikita Khrouchtchev, mais ce n’est pas grave ! Ce Nikita qu’il nous fait alimente l’esprit de farce que cherche à développer le film. Jason Isaacs a lui aussi totalement reconstruit son Joukov pour en faire un grand cow-boy en guirlande de médailles. OK, c’est assez fantaisiste, mais qu’est-ce que ça m’a fait me poiler ! Et c’est d’ailleurs dans le traitement formel de ces personnages que se révèle toute la pertinence de la forme adoptée par Armando Iannucci. Parce que l’air de rien, lui aussi parvient à jouer de cette logique de rupture et de décalage. D’un côté il a l’intelligence de poser une réalisation très classique et académique qui a des allures de grand théâtre de l’Histoire, et de l’autre il instaure des ruptures qui démontrent à quel point ce regard solennel n’est pas pertinent du tout. Parfois un cut bien sec vient rompre l’harmonie d’ensemble, d’autre fois c’est un ralenti outrancier sur l’exposition de Joukov et de ses médailles qui volent au vent, mais la plupart du temps ce sont les personnages eux-mêmes qui font n’importe quoi dans un cadre pourtant pensé pour leur grandeur. Entre un porté de Staline mal maitrisé ou bien des membres du présidium qui courent à travers un parc pour se jeter sur la fille du grand Joseph, tout concourt à rompre la solennité et la grandeur. Et c’est justement ça qui fait de ce film un film agréable, drôle et surtout diablement pertinent. Eh bah moi, tout ça, ça me suffit largement.

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le 8 avr. 2018

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