Voyage visuel et narratif dans l'Italie du XVIIIème siècle pour Eric Rohmer, le réalisateur étalant sa culture et son travail de recherche sans jamais pourtant s'émanciper de l’œuvre de base.


La principale caractéristique de La Marquise d'O... est sa réalisation très terre à terre visant à faire de chaque plan un tableau. En effet, le long métrage possède une forte influence de la peinture romantique, allant ainsi en accord avec la période qu'il dépeint. L'inspiration se ressent dans l'étalonnage du film avec couleurs froides, se balançant entre le bleu et le blanc. Le montage n'est pas en reste avec l'utilisation quasiment abusive de fondus au noir comme pour souligner la noirceur qui consume les personnages. Néanmoins, ce sera le paysage qui représentera le plus distinctement le rapprochement avec le romantisme pictural. La nature est le reflet des préoccupations et des émotions de la marquise. Le viol survient durant un moment de chaos, tandis que plus tard elle reprendra les rênes de son existence dans une campagne apaisante, marquant ainsi dans les deux cas l'importance de la nature dans son développement émotionnel. Ce sera par ailleurs la séquence du viol qui condensera toute ces inspirations, en y insérant en plus une dualité religieuse entre l'ange et le démon.
Le blanc, symbole de pureté, est constamment associé à la marquise allant de ses vêtements aux draps de son lit. La figure angélique de la marquise se verra alors sali par le rouge diabolique du comte. La femme se fera violé dans des draps rouges et connaîtra l'identité de son violeur sur un canapé rouge. La position qu'elle prend dans le lit avant l'événement fatidique se rapproche au millimètre prés de celui de la femme dans Le Cauchemar de Fussli, le démon étant dans ce cas le comte, une assimilation qui sera appuyé plus tard lors de la séquence du mariage avec un raccord regard de la marquise sur une fresque de Saint-Michel et le Dragon. Pourtant, et ce qui parfaitement réalisé par Rohmer, le comte est présenté comme le sauveur de la femme dans un plan en contre-plongée, le personnage baigné de lumière comme descendu des cieux pour sauver sa dulcinée. Finalement, l'ange descendu du ciel est un ange déchu.


La Marquise d'O... est un long métrage très intéressant à analyser de part toute les références utilisé par Rohmer. Cette variation de La Belle au bois dormant se pose cependant à contre-courant des précédentes productions du réalisateur. De cette adaptation beaucoup trop fidèle nous ne tirons aucun enseignement, chose étrange pour un film rohmérien. Tout est très plat comme prouvé dans la séquence de la révélation finale dont seul un choc de la réalisation aurait pu combler la prédictibilité de l’événement, et les relations sont tellement superficiels que cela donne l'impression que les personnages se moquent de ce qui a pu arriver. Malgré le viol, le comte et la marquise finissent ensemble dans une totale incompréhension de la part du spectateur. Les personnages acceptent cela, et la marquise finira par succomber alors qu'elle réfutait l'idée d'épouser le « diable ». Au-delà du viol, ce soudain attachement n'a aucun sens car les deux êtres n'ont quasiment jamais pu parler en tête à tête, le comte parlant exclusivement au père de la marquise. Transposer les coutumes de l'époque avec les mariages arrangés est pertinent, ça l'est moins lorsque l'on montre le comte du début à la fin comme un monstre au travers des yeux de la marquise pour finalement la faire tomber amoureuse de lui. Rohmer aurait sans aucun doute dû s'approprier personnellement le livre au lieu de l'adapter à la lettre et de fournir une histoire qui semble terriblement daté.


Le travail d'adaptation nécessite quelques fois des changements malgré le respect que l'on peut porter pour l’œuvre de base. La patte visuelle de Rohmer y est, mais son âme n'y est pas.

Flave
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le 28 mars 2022

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Flave

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